La Femme de Tchaïkovski
Dans l'univers si particulier de Kirill Serebrennikov, un mort se relève de sa couche mortuaire pour proclamer une dernière fois la haine qu'il voue à son épouse, des mouches intempestives se mêlent aux conversations les plus intimes et des apollons nus censés réveiller un désir féminin n'en résument que l'impasse quand la folie guette peu à peu à l'héroïne principale. Somptueux, onirique et décadent, La Femme de Tchaïkovski déroule ainsi sa descente aux enfers, celle de la malheureuse Antonina Milioukova, obstinément accrochée à son célèbre musicien de mari sans comprendre qu'elle est d'abord la victime d'un mariage arrangé puisque l'illustre compositeur de Casse-Noisette et Le Lac des Cygnes, Piotr Ilitch Tchaïkovski, a toujours préféré les jeunes garçons aux femmes.
On entre dans cette odyssée sans passion tout en étant capté d'emblée par l'expressionnisme de Serebrennikov tel qu'on l'avait découvert sur une tonalité plus mélancolique avec le sublime Leto. Des plans-séquences aussi dostoïevskiens les uns que les autres nous plongent dans cette Russie pourrissante de la fin du 19e siècle, entre misère et farce sociale. Le peuple qui s'y débat semble aliéné pour l'éternité. De quoi faire écho au calvaire du réalisateur, longtemps traîné en justice et assigné en résidence avant d'échapper finalement à la prison et d'aller respirer ailleurs que dans la Russie de Poutine.
La partie plus fantasmagorique du film nous laisse en revanche un peu dubitatif. Elle rend moins saillant le jeu jusqu'ici impeccable d'Alyona Mikhailova et d'Odin Biron et tombe dans une lourdeur et une obscurité qui font paravent entre les visions infernales de Serebrennikov et ce qu'en perçoit le spectateur. A ce propos, la chorégraphie finale tombe un peu comme un cheveu sur la soupe.
La Femme de Tchaïkovski, Kirill Serebrennikov, en compétion au dernier Festival de Cannes. Sortie en salles ce mercredi 15 février.