Jeanne
Il suffit de la voir prier au côté de son bourreau, l'évêque Cauchon, avant que ne reprenne le procès. L'autre joint ses mains comme un Tartuffe, regard oblique, alors que Jeanne d'Arc lève légèrement la tête, pupilles ardentes devant l'autel, genou à terre, comme un chevalier. On y croit, alors même que le personnage est joué par un enfant. Quelle idée de maître, chez Bruno Dumont, que d'avoir repris Lise Leplat Prudhomme, qui incarnait la Jeanne miniature du déjanté Jeannette, l'enfance de Jeanne d'Arc !
Plus rien de foutraque, ici, juste l'innocence à l'état brut. Du haut de ses dix ans, Jeanne n'est que roc de fragilité, fulgurance organique, socle de modernité. Ainsi Dumont retrouve-t-il "l'esprit" d'Hadewijch, cette odyssée d'une jeune allumée-allumeuse éprise de Jésus comme si c'était un garçon de son âge. Il s'empare du religieux en dézinguant toute bondieuserie. Faire jouer Jeanne d'Arc par une gamine lui permet aussi d'accentuer les contrastes avec le jeu des acteurs adultes, à l'instar de la brève mais hallucinante apparition de Fabrice Luchini dans la peau du royal mais si pleutre Charles VII.
Le reste du casting n'est pas moins sidérant, surtout lorsque survient le procès d'une Jeanne d'Arc déjà saisie de doutes, dans son armure, après la victoire d'Orléans. La prose acérée et lyrique de Péguy, qui nous paraissait si hermétique dans Jeannette... , refait mystérieusement sens dans le parler onctueux des accusateurs de la Pucelle. Comme souvent chez Dumont, ce sont des acteurs non professionnels, dépouillés de cette technicité qui nivelle, parfois, l'art d'Hamlet. Des corps et des gestuelles crèvent l'écran. Une diction particulière, également, surtout lorsqu'elle touche à la fois au burlesque et à l'effroi. On n'oubliera pas de sitôt le Nicolas l'Oiseleur de Fabien Fenet.
Le choix du chanteur Christophe comme compositeur pour la B.O. et son apparition spectaculaire dans le rôle de l'un des juges réorientent le film vers le saugrenu. On l'aime bien, l'interprète des Mots Bleus, mais ceux de Péguy ont d'autres couleurs. Celles des dunes et autres bruyères, repères géographiques désormais familiers dans l'œuvre de Bruno Dumont, sans oublier cette cathédrale d'Amiens expurgée de ses chaises et où le réalisateur a choisi de situer le procès de Rouen, avec à la clé des plongées majestueuses. Toute en grâce juvénile, Jeanne y apparaît encore plus universelle.
Jeanne, Bruno Dumont (Sortie en salles ce 11 septembre)