Hadewijch
Les deux films à priori n'ont rien à voir entre eux... Et pourtant le Hadewijch de Bruno Dumont fait étrangement penser à Un prophète de Jacques Audiard. Peut-être parce qu'il est encore question, ici, de visage, de lumière, de dépassement de soi. Peut-être aussi parce que ces deux réalisateurs, chacun dans leur style, font semblant d'être fidèles à un certain genre (le thriller carcéral pour Audiard, le trip religieux pour Dumont), tout en lui inventant un au-delà.
Mais cet au-delà n'a rien d'une quelconque bondieuserie pour la jeune Parisienne que filme Bruno Dumont. Refoulée d'un couvent pour excès de mortifications (elle avait pour modèle Hadewij d'Anvers, une mystique du 13ème siècle), Céline est éprise de Jésus comme si c'était un garçon de son âge. Et quand sa mère lui demande ce qu'elle va faire de sa journée, elle répond qu'elle va prier, avec le même ton qu'elle aurait si elle rétorquait qu'elle allait rejoindre son petit ami. Une vraie allumée, cette Céline... Une allumeuse, également, à son insu, jusqu'à faire tourner en bourrique un jeune beur des cités dont le grand frère s'avère être une rencontre beaucoup plus dangereuse.
Comme dans L'Humanité et dans Flandres, mais avec moins de venin dans le déroulement des séquences, le grand art de Bruno Dumont consiste à ne pas se laisser happer par les prolongements sociologiques et politiques de son propos. Tout ce qui est autour de Céline, (les personnages, les lieux, et même les actes qu'elle est amenée à commettre ), est volontairement désincarné, elliptique, à la limite du faux raccord. Ce qui, au contraire, ressort de la quête intérieure de la jeune fille, entre élan amoureux, perte de soi et adorations mortifères, crève littéralement l'écran, à l'image de la jeune interprète du film, l' hallucinante Julie Sokolowski, qui donne à son personnage une force et une sensualité se situant, là encore, dans un au-delà du jeu d'actrice.
Et puis évidemment, il y a la scène finale... Bruno Dumont refuse la comparaison avec Robert Bresson. Il dit qu'il n'est en rien un cinéaste catholique. Il aimerait qu'on puisse parler de grâce, de sainteté et de résurrection au cinéma sans être forcément ramené au vocabulaire de l'église. Comment ne pas lui donner raison, même si chez Bresson il y a aussi des instants puissamment charnels ? Comment ne pas penser, également, à Maurice Pialat et à sa fureur laïque au moment de porter à l'écran le bernanosien Sous le Soleil de Satan ? Comment ne pas applaudir, enfin; l'univers singulier, lumineux et intransigeant d'un réalisateur de plus en plus accompli et dont l'opus 2009 devrait terminer sur la plus haute marche du podium (ex aequo avec Un Prophète) en ce qui concerne le cinéma français...
Hadewijch, de Bruno Dumont (Sortie en salles le 25 novembre) Coup de projecteur avec le réalisateur le mardi 24 novembre sur TSF JAZZ (8h30, 11h30, 16h30)