Un prophète
Quel prophète, ce Jacques Audiard ! Prophète d'un cinéma français qui va enfin à l'essentiel, sans pour autant faire dans le dépouillé. Prophète d'un cinéma de genre qui ne s'enferme pas dans ses clichés mais les transcende dans une écriture narrative pleine de rebondissements. Prophète d'un film noir qui nous en fait voir de toutes les couleurs et dont on peut dire effectivement qu'il avait, à Cannes, un parfum de palme d'or. Mais le Grand prix du Jury, ce n'est pas rien non plus.
Cela commence en noir, justement... Le visage de Malik el Djebena, condamné à six ans de prison, n'apparaît que sur une petite partie de l'écran. Cette façon de poser la main sur la caméra pour créer un effet de luminosité vacillante, Jacques Audiard y a déjà eu recours, mais le procédé, ici, est directement calqué sur le propos du film puisqu'il donne à voir le taulard tel que le maton l'aperçoit à travers le trou de la cellule.
Les morceaux de bravoure, dés lors, ne vont cesser de s'enchaîner au gré d'une mise en scène stylisée, nerveuse et flamboyante. On pourrait presque parler de scénographie dans la façon dont l'espace carcéral est investi dans toutes ses dimensions, techniquement et artistiquement parlant. Le scénario n'est pas en reste: la grande idée, c'est que la petite frappe illettrée du début du film se construit individuellement derrière les barreaux en faisant semblant de jouer collectif. Chaloupant entre différents groupes (les Corses, les Barbus...), Malik se plie apparemment aux règles du jeu avant d'envoyer tout le monde au tapis.
Il apprend à lire, aussi, et surtout, il semble s'armer, peu à peu, d'une étrange invulnérabilité sans doute liée au fantôme de ce co-détenu qu'il a du trucider en guise d'épreuve initiatique et qui l'accompagne tout au long du film... C'est un peu la conscience de Malik, ce fantôme. Ou alors c'est ce qui lui confère ce statut de prophète qui garde toujours un coup d'avance alors même qu'il est souvent plongé dans des situations redoutables... Ce qu'il a en tous les cas appris en prison, à savoir les règles du chacun pour soi, le vrai-faux détenu modèle va le faire fructifier à l'extérieur, lors de permissions mouvementées qui aèrent le film à à travers de magnifiques scènes d'action.
Epoustouflant de maîtrise sur une durée qui approche quand même les 2h30, Jacques Audiard se confirme enfin comme un directeur d'acteurs exceptionnel... Il n'y aura pas photo, aux prochains Césars, pour donner à Niels Arestrup la consécration qu'il mérite dans ce rôle d'anthologie d'un maffiosi corse de plus en plus seul à mesure que le film progresse et qui rappelle à bien des égards l'inquiétante figure paternelle de "De battre, mon coeur s'est arrêté ". Le jeune Tahar Rahim, lui, est de la race des Romain Duris... Il a dans son jeu la justesse et l'électricité. Lorsque la caméra zoome sur son visage, à sa sortie de prison, on sait déjà que le Karim El Djebena de Jacques Audiard, comme autrefois le Antoine Doinel de François Truffaut, est entré au panthéon des personnages inoubliables du cinéma français.
Un prophète, de Jacques Audiard (Sortie le 26 août). Coup de projecteur le même jour, sur TSF, avec Tahar Rahim (8h30, 11h30 et 16h30)