Frère et sœur
Grand cru à la saveur incertaine que ce Frère et sœur signé Arnaud Desplechin. Aux antipodes de son avant-dernier opus, Tromperie dans tous les sens du terme plombée d'entre-soi et de préciosité, le voilà qui renoue avec une aura romanesque rappelant ses films les plus anciens. L'ampleur est au rendez-vous, sans se disperser dans un mille-feuille d'intrigues, même si le propos peine à se renouveler.
De fait, Frère et sœur prolonge, mais en le constituant comme axe central, l'une des branches de l'arborescent Conte de Noël. Banni, on s'en souvient, par son orgueilleuse frangine qu'interprétait Anne de Consigny, Mathieu Amalric débarquait comme un chien dans un jeu de quilles en plein réveillon. Bien plus convulsive, la relation entre Marion Cotillard et Melvil Poupaud s'étend sur plusieurs années: elle brille sur scène, actrice de théâtre réputée. Il s'épanche à l'écrit, poète, professeur, puis ermite dans une vieille bergerie après la mort de son fils. Ils se détestent et se fuient, jusqu'au moment où un accident envoie leurs parents à l'hôpital...
Agençant virtuosement présent et retours en arrière, Desplechin veille surtout à ne pas expliciter le motif originel de cette brouille frère sœur. Diablement faulknérien en la circonstance, il en brosse d'abord la phénoménologie, essaimant des indices ici et là, effleurant la dimension incestueuse comme Cassavetes dans Love Streams, mais sans jamais dissocier le toxique de l'indéchiffrable. Ses personnages se combattent et se jalousent à tâtons, entourés de figures qui ont elles aussi leur part de mystère ou de mythologie, à commencer par l'étonnant Patrick Timsit dans la peau de l'ami psy traduisant dans une synagogue un passage sur le fait qu'il ne faut jamais voir ses parents nus.
Golshifteh Farahani et sa silhouette de "Piéta" iranienne, Max Baissette de Malglaive en jeune neveu au visage à la fois doux et inquiétant, ou encore Cosmina Stratan et ses pupilles ardentes de confidente-admiratrice sans le sou de Marion Cotillard, participent de la même étrangeté. On l'aura compris, c'est tout un appareil conceptuel (le théâtre, la poésie, la psychologie, la religion...) que déploie le réalisateur pour étoffer son propos et rebattre ses obsessions, au risque, parfois, de diluer la puissance d'émotion que son scénario véhiculait au départ.
D'où l'impression d'une certaine rigidité derrière la dextérité. Les morceaux de bravoure, comme les échappées narratives, s'enchaînent sans forcément s'ajuster. Seule Marion Cotillard fait trait d'union. Alors que dans le rôle du frère, Melvil Poupaud paraît moins bien servi par la mise en scène, la comédienne trouve ici l'un de ses plus beaux rôles, tour à tour impériale et défaite, notamment lorsqu'elle craque face à un brave pharmacien qui s'interroge sur le contenu de son ordonnance. Sa performance contribue nettement à placer Frère et sœur assez haut dans la filmographie d'Arnaud Desplechin malgré ses rugosités un peu trop prononcées.
Frère et sœur, Arnaud Desplechin, sélection officielle à Cannes (le film est sorti hier)