Dresden
2009, l'année ECM... Pour ses 40 ans, le label de Manfred Eicher aura décidément joué de toutes les alchimies, entre les brouillards nimbés d'Arve Henriksen, l'intensité minimaliste de Mark Turner et de son Trio Fly, ou encore l'incandescence coltranienne de Steve Kuhn. Il manquait au tableau la tornade et les soleils de Jan Garbarek.
Comment ça, Garbarek, diront certains ? Il est toujours là, le Norvégien neurasthénique, le Boulez des fjords, le cérébral frigorifiant labellisé "jazz européen", cet affreux gros mot qui signale trop souvent ces infernales contrées où sous couvert de free distordu et de droit à la dissonance on a décrété la mort du swing et l'avènement du chiant ? Eh bien il va falloir réviser sa copie, apparemment, car avec "Dresden", ce double CD live enregistré il y a deux ans à Dresde, en Allemagne, Jan Garbarek est au contraire stupéfiant de vitalité comme si, sur scène, la statue du Commandeur laissait place à un musicien étonnamment accessible avec ses climats ensorcelants, ses mélodies lyriques et surtout une énergie phénoménale.
Cette énergie, c'est peut-être Manu Katché qui en est le fil conducteur, tellement il groove aux tambours...C'est la fontaine de jouvence de Garbarek, Manu Katché, tandis qu'aux claviers, Rainer Bruninnghaus, le complice de toujours, apporte les mille et une couleurs de quelques solos d'anthologie. Et puis il y a bien sûr le son du sax, tellement singulier. Pulsation du soprano, en mode indien, sur la transe hypnotique de "Paper Nut", le thème de départ de l'album... Puissance du ténor, dés le morceau suivant, "The Tall Tear Trees", avec en contrepoint la douceur méditative du 3ème titre, "Heitor"...
Complété par Yuri Daniel à la basse, le quartet n'a plus dés lors qu'à se lâcher, sans ceinture de sécurité, sur le chef d'oeuvre de Milton Nascimento, "Milagre Dos Peixes", dans une version moins tropicale, certes, que celle des frères Belmondo, mais quel envoûtement harmonique, au final ! Le 2ème CD est encore plus limpide. "There were Swallows", "Fugl"... On plane au-dessus des nuages, jusqu' à l'ultime et orageux "Voy Cantando"... Il fallait donc l'entendre en live, Jan Garbarek, pour qu'il fende la glace et que sa musique rencontre enfin la volupté.
"Dresden", Jan Garbarek Group (ECM)