Milton Nascimento & Belmondo (Suite)
Je me suis un peu calmé à présent. Milagre dos Peixos, le miracle des poissons en français, passe désormais avant le journal de 18h et non plus après, comme ce fut le cas, il y a un peu plus d'un mois, lors d'une première écoute propice à bien des secousses hallucinogènes. Alors comme c'est avant le journal que je présente et qu'il faut se concentrer, je me calme, je résiste à replonger dans le torrent, je fais semblant de prêter une oreille discrète au bouquet final, lorsque tout se met à voltiger dans le morceau: le clavier de Légnini, les cordes de l'Orchestre national d'Ile-de-France, la trompette et le saxo des frères Belmondo, la baguette de Dédé Ceccarelli, la contrebasse de Thomas Bramerie et surtout la voix de Milton Nascimento...
Surtout ne pas s'ébahir encore une fois genre "oh la belle bleue!"... Garder son calme même si en sourdine, le miracle des poissons est encore au rendez-vous... Et puis s'il faut garder son calme, c'est que j'ai désormais dans les oreilles l'ensemble de l'album, et qu'il ne flamboie pas seulement dans le registre de la symphonie tropicale, à l'image de Milagre Dos Peixos, mais aussi de Nada Sera Como Antes ou encore Cançao Do Sal. Car lorsque Lionel et Stéphane Belmondo revisitent les classiques de Milton Nascimento (Travessia, Morro Velho...), mais aussi des choses moins connues comme Ponta de Areia, utilisé à la fois comme prologue et épilogue, et surtout Oraçao, qui veut dire prière, on se retrouve dans une toute autre liturgie, presque médiévale, déjà à l'oeuvre, d'une certaine manière dans L' Hymne au soleil...
Devant la qualité d'une écriture aussi résolument collective (mais qui doit beaucoup aussi à Christophe Dal Sasso) et dans laquelle la trompette de Stéphane Belmondo peut néanmoins improviser de superbes solos (Oraçao, j'y reviens...) , la voix du géant de Minas Gerais n'a plus qu' à tutoyer les anges, avec au final des arrangements qui confinent à l'oratorio. C 'est cette tentation de l' art lyrique, au vrai sens du terme, qui a peut-être boosté, dans le passé, quelques grandes légendes du jazz vers les orchestres à cordes.
Des générations de gardiens du temple s' en sont étranglées, de toutes ces cordes, et nul doute que certains d'entre eux seront encore au rendez-vous pour se pincer le nez face aux effluves orchestrales des Belmondo. Mais face aux "puristes", l'album culmine dans une toute autre purification à travers une berceuse empruntée à la "pure" musique savante. Les brothers lâchent alors toutes les bombes: une petite rengaine lancinante au départ, Milton qui vire notamment à l'aigü, et soudain les cloches qui sonnent !!! Mais dans quel pincement de corde, dans quel vibrato de harpe sont-ils aller chercher ça ?? On se croirait dans "La Belle à la Bête", et puis arrive Bill Evans... Ah non, en fait, c'est Eric Légnini...
La fin du morceau sonne à nouveau furieusement jazz, et là encore on ne comprend plus: comment ça peut swinguer aussi jouissivement, à présent, après la séquence des cloches ? A la énième réécoute de cet album qui ose toutes les expériences, j' ai pensé à un autre ogre brésilien, complètement fêlé à sa manière, je veux parler de Tom Zé... Alors peut-être que lorsque les deux frères auront tourné mille fois autour de la planète musique, passant de Nadia Boulanger au Grateful Dead, avant d'aller faire swinguer, je ne sais pas, moi, la musique traditionnelle bouddhiste, les chants Inuits ou les Choeurs de l' Armée Rouge, peut-être qu' un retour au Brésil du côté de Tom Zé pourrait receler des vertus aussi disjonctantes que cette belle rencontre fraternelle et amoureuse entre le doux Milton et les deux électrons philharmoniques du jazz hexagonal...
Milton Nascimento & Belmondo (B Flat/Discograph) Sortie le 21 avril