Cachez cette Angela Davis que je ne saurais voir...
La fièvre déboulonneuse a saisi Valérie Pécresse. Ce soupçon de wokisme peut surprendre la concernant et pourtant, même à front renversé, le raisonnement est le même. Alors même qu'une directrice d'école a été poussée à la démission en Floride pour avoir montré le très dénudé David de Michel-Ange à ses élèves, la présidente LR de la région Ile-de-France a tenté quant à elle de débaptiser le lycée Angela-Davis de Saint-Denis avant de faire machine arrière face au tollé suscité par sa décision. Elle en appelle désormais à l'Etat. On imagine la tête de l'actuel ministre de l'Education, Pap Ndiaye, spécialiste de l'histoire des noirs américains...
En attendant, le nom d'Angela Davis, paraît-il, "ne fait pas consensus" d'après Valérie Pécresse qui préfère Rosa Parks, figure plus sulpicienne à ses yeux du combat anti-raciste. Reste à savoir à quel moment Angela Davis a fait l'unanimité. Figure du Black Power au féminin singulier, voire d'un communisme à la coupe afro, elle a justement fondé son action militante au carrefour de l'oppression de classe, de genre et de race, comme le montrait il y a tout juste 10 ans le remarquable documentaire Free Angela de Shola Lynch. La célèbre militante nous avait accordé à cette occasion un entretien exceptionnel sur TSFJAZZ.
Révoquée de son poste d'enseignante par Ronald Reagan, alors gouverneur de Californie, Angela Davis sera pourchassée par le FBI et menacée de peine de mort pour complicité de meurtre suite à l'évasion manquée de trois Black Panthers. Un immense mouvement de solidarité internationale se met alors en place. Aretha Franklin se propose de payer la caution d'Angela Davis tandis que Nina Simone lui offre un ballon rouge qu'elle cachera sous son oreiller en prison. Même dégonflé, ce ballon l'aide à tenir... Alors oui, carton rouge pour Valérie Pécresse aux yeux de qui Angela Davis est surtout coupable d'avoir stigmatisé en des termes assez vifs la loi contre le port du voile. Grave atteinte à la laïcité, décrète l'ex-candidate LR pour qui "dans un lycée français, on doit apprendre à être fier de la France "... Et rendre hommage à celles et ceux qui ont levé le poing dans la nuit ségrégationniste, ce n'est pas le rôle d'un lycée français ?
On peut, certes, ne pas partager les récentes prises de position d'Angela Davis tout en questionnant l'opportunité de baptiser un lieu du nom d'une personnalité toujours en vie. Il n'empêche que l'aveuglement caricatural de Valérie Pécresse est pathétique... Pathétique au regard de la place cruciale qu'occupe Angela Davis dans le combat pour les droits civiques. Pathétique, ce reproche qui lui est adressé au sujet de la notion de "racisme systémique " qui, d'après Pécresse, "nourrit les replis communautaires et peut encourager la violence "... Pathétique, enfin, l'opposition que la présidente de région croit percevoir entre Angela Davis militante des Black Panthers et Martin Luther King dont elle édulcore les convictions non-violentes.
C'est pourtant bien ce même Martin Luther King qui estimait qu'il y a "quelque chose d'intrinsèquement pourri au royaume d'Amérique ". Dans une biographie de référence, L'historienne Sylvie Laurent mettait justement en lumière la radicalisation du pasteur dans la période qui a précédé son assassinat. La guerre au Vietnam, les logements insalubres où l'on parquait les Noirs de Chicago... Luther King faisait de moins en moins mystère dans ses analyses des enjeux de classe, y compris à l'échelle internationale. C'est d'ailleurs bien pour soutenir des éboueurs qui voulaient se syndiquer qu'il s'était rendu à Memphis où il fut assassiné. Valérie Pécresse serait bien inspirée, à ce propos, d'en finir avec certains clichés tout en évitant d'en rajouter en matière de "cancel culture".
Angela Davis dans le viseur de Valérie Pécresse, 29 mars 2023