Dimanche 20 juin 2021 par Ralph Gambihler

Berlin mon garçon

Un vol de choucas accueille Marina, une libraire de Chinon (Indre-et-Loire) à la recherche de son fils disparu à Berlin. Les cris stridents de ces oiseaux de malheur, la froide géométrie d'une ville autrefois si festoyante, la dégaine de Rüdiger, le loueur de chambre avec lequel elle va partager un appartement... Tout lui fait d'abord horreur, à Marina, y compris ce non-dit qui la tenaille, cette peur de ne pas avoir été la mère qu'il fallait, cette hantise d'avoir enfanté un être maléfique.

Le texte est sublime, sensuel, avec des tournures de conversations indirectes et une intensité poétique qui font songer à Marguerite Duras (forcément sublime, donc...), ou alors à l'une de ses héritières les plus inspirées, Marie Ndiaye, qui répond ici à une commande de Stanislas Nordey. Le point de départ obligé, c'était le mot "terrorisme". La romancière l'a raccordé à son univers riche en disparitions, culpabilités, et autres métaphores ornithologiques, comme il y a dix ans avec Les grandes personnes au Théâtre de la Colline, même si la tonalité maladroitement hitchcockienne du propos tombait à plat.

Un écueil largement évité sur la scène de l'Odéon, peut-être parce que le propos se veut moins abrupt. Quand par l'entremise de Rüdiger l'ex-petite amie du fils maudit provoque la mère en lâchant:  "Demandez-lui ce qu'il a vécu d'effroyable à Chinon pour transporter jusqu'à Berlin un coeur aussi haineux ", la question paraît presque trop simple. Nos bazars intimes, nos bifurcations soudaines, ne seraient-elles que le fruit d'une mauvaise éducation, comme semble aussi le penser la grand-mère du fils restée à Chinon au côté du père ?

Mise en scène épurée de Stanislas Nordey, aux antipodes de l'emphase qui nous a parfois éloignés de son travail. La scénographie, tout en noir et blanc, avec projetées en arrière-plan des photographies d'un Berlin réduit à l'état de no man's land, s'agrège sans hiatus à la prose au scalpel de Marie Ndiaye. La partie Chinon est moins aboutie, y compris au niveau de l'interprétation.

Le duo berlinois, en revanche, fonctionne à merveille. Combative mais désarmée dans son manteau jaune, Hélène Alexandridis porte sans pathos les tourments d'une mère qui finit par s'alléger de son fardeau de mère, et c'est un immense plaisir de retrouver à ses côtés le trop méconnu Claude Duparfait dans la peau glacée de ce Rüdiger qui voudrait tant briser la glace, justement... Une main sur l'épaule suffit dès lors à ce que peu à peu, les cris des choucas deviennent bien moins stridents.

Berlin mon garçon, Marie Ndiaye, mise en scène de Stanislas Nordey. Au Théâtre de l'Odéon, à Paris, jusqu'au 27 juin.