Les grandes personnes
Ils déployaient déjà leurs voilures dans "Trois femmes puissantes", le roman qui lui a valu le prix Goncourt en 2009... Les oiseaux sont de retour dans l'univers de Marie Ndiaye, et ils sont encore plus hitchcockiens. L'un d'eux se paie même le luxe de foncer dans le public aux deux-tiers de la pièce, quand l'un des personnages est transformé en rapace à la suite d'une vengeance au parfum de magie noire. L'instant est insolite, même si déjà, depuis un bon moment, notre attention bat de l'aile....
Au départ, deux couples d'amis : le premier, d'origine aisée, affronte le fantôme d'une fille qui s'est suicidée 17 ans auparavant et le retour d'un fils adoptif pareillement torturé. L'autre couple, moins au fait des bonnes manières apparemment, paraît jouir à priori du meilleur des fils, jusqu'au moment où l'on comprend que le fils en question est un instituteur pédophile, ce que le père et la mère refusent absolument de voir et d'entendre.
"Les grandes personnes" constituent la 3ème expérience théâtrale de Marie Ndiaye, mais ce qui avait si bien fonctionné avec "Hilda" et "Papa doit manger" souffre ici d'un réel déséquilibre dans la trame et la direction d'acteurs... On aime beaucoup, certes, la partie de la pièce centrée sur l'épisode pédophile : Evelyne Didi et Jean-Pierre Malo incarnent avec brio les "parents terribles" que chaque enfant est en droit de redouter, et dans le rôle de l'instit', Vincent Dissez est d'une justesse à toute épreuve. Toute l'étrangeté dont Marie Ndiaye a fait sa marque de fabrique donne de nouvelles couleurs, ici, aux thèmes de l'héritage, de la piété filiale et des avatars d'une descendance où ce sont parfois les parents, et non pas l'inverse, qui ne méritent pas leurs enfants.
L'irruption, dans ce trio, d'une "étrangère" en quête de justice atténue déjà l'impact du propos. Mais c'est surtout ce qui se joue autour de l'autre couple d'amis qui donne une lourdeur inattendue à la pièce. Il ne suffit pas, à vrai dire, de rendre une morte-vivante translucide ou d'habiller un personnage à la sauce vaudou pour emporter l'affaire...
"Les grandes personnes", de Marie Ndiaye, mis en scène par Christophe Perton, au théâtre de la Colline, à Paris, jusqu'au 3 avril