Avenue des Géants
Mauvaise pente pour Marc Dugain. Auteur de deux coups de maître, "La Malédiction d'Edgar" (2005) et "Une exécution ordinaire" (2007), ce romancier fou d'Amérique et de l'Histoire avec une majuscule peine, depuis, à renouveler son inspiration. "L'insomnie des étoiles", paru il y a deux ans, avait déjà valeur de signal d'alarme, l'auteur s'épuisant, après bien d'autres, à creuser les racines du mal dans l'Allemagne nazie et post-nazie. Marc Dugain s'est également essayé au théâtre en mettant en scène un texte méconnu de Tchekhov peu convaincant à l'arrivée. La dernière fois, enfin, que nous l'avions rencontré, c'était pour l'entendre dire du mal du dernier film de Clint Eastwood dont l'approche du personnage de J.Edgar Hoover était pourtant percutante, originale et éminemment subversive.
Trois qualificatifs qui, malheureusement, ne peuvent en aucune manière correspondre à notre lecture de "Avenue des Géants", dernier opus du romancier. Son personnage principal n'est pourtant pas dénué d'intérêt. Avec ses 2m20, son Q.I. largement au-dessus de la moyenne et ses dispositions précoces puisqu'il trucide ses deux grands-parents dés l'âge de 15 ans, Al Kenner semble avoir tous les bagages en main pour devenir l'égal d'un Hannibal Lecter ou d'un Patrick Bateman.
Ses cinq premières années en hôpital psychiatrique provoquent pourtant une première cassure de rythme dans le récit, ne serait-ce qu'à travers le tiède face-à-face entre l'apprenti serial-killer et le psy plutôt compréhensif qui est chargé de décrypter son comportement. Considéré comme inoffensif, notre homme retrouve finalement la liberté et part s'installer en Californie en plein âge d'or hippie. Faute d'avoir réglé à temps ses rapports avec une mère plus ou moins indigne, il développera à nouveau ses instincts meurtriers, non pas sur les jeunes égéries de l'Amérique Peace & Love dont il vomit pourtant les valeurs, mais plutôt sur des minettes BCBG issues de familles réacs qui semblent avoir plus d'impact sur sa sexualité de tordu.
L'auteur, nous dit-on, a lui-même fait la route à travers les grands espaces américains pour s'imprégner du style et du climat qui nourrissent son récit inspiré d'un personnage réel. D'où, certainement, ce côté appliqué dans l'ordonnancement de l'enfer. Si on y ajoute une grosse dose de clichés (surtout dans les rapports entre le fils et sa mère) et de trop nombreux temps morts, on déduira que le roman français, même avec une plume aussi virile que celle de Marc Dugain, est encore loin de rivaliser avec Bret Easton Ellis et autres seigneurs du grand roman noir américain.
"Avenue des Géants", de Marc Dugain (Editions Gallimard)