"59 rue des Archives" reçu à l'écrit
Elle aussi, on la découvre d'abord "dans les coulisses de la grande histoire du jazz", chuchotant au producteur John Hammon le nom d'un certain Charlie Christian, repérant Thelonious Monk au Minton's et Ella Fitzgerald écumant les concours à Harlem, ou alors offrant à Art Blakey son premier job new-yorkais. Dans l'ombre et soudain en pleine lumière, la pianiste et arrangeuse Mary Lou Williams lorsque David Koperhant, Bruno Guermonprez et Rebecca Zissmann lui consacrent tout un chapitre à la mesure de son parcours aussi douloureux que foisonnant, et aujourd'hui encore trop méconnu.
Ils ont vraiment le sens du "work in progress", nos trois "inspecteurs" de 59, rue des Archives -quatrième saison sur TSFJAZZ, le dimanche à midi- et aussi un art consommé du trio au moment d'éviter les pièges de la radio écrite. Des plumes qui swinguent transcendent ainsi le format originel façon enquêtes policières. Exit "Faites entrer l'accusé", place à "Faites entrer les légendes" avec en bonus un travail d'édition remarquable d'Eric Holstein et des dessins en noir et blanc aussi discrets que ciselés signés de l'Argentin Diego Flavio Tripodi et du Parisien Zariel.
Travail gorgé d'érudition pour évoquer des parcours ou des albums, y compris lorsqu'il faut autant en connaître en cinéma qu'en jazz pour raconter l'épopée de Julie London. Rigueur imparable dès lors que des versions parfois inconciliables entourent telle ou telle anecdote. Scènes d'ouverture qui donnent le frisson: Miles Davis derrière les barreaux quatre ans avant Kind of Blue, Charles Mingus aux portes de l'hôpital psychiatrique de Bellevue, à New-York, avant que son album-culte, Blues & Roots, ne le rattrape au vol... L'émotion, enfin, reste le maître-mot de ces 22 "jazz stories" qui appellent évidemment un second tome. Armstrong, Bird, Chet, ou encore Nina Simone et Keith Jarrett le mériteraient tant.
En attendant, on se laisse embuer les pupilles au souvenir du guitariste Wes Montgomery ne dormant quasiment plus entre son travail de jour dans une laiterie et ses prestations nocturnes dans un petit club noir d'Indianapolis. Tout aussi bouleversant, Scott LaFaro, la carrure aussi imposante que sa contrebasse, "seul être vivant capable de soutenir Bill Evans. De le sortir de son état d'anxiété maladive et de le porter sur scène ". Le prénom et le nom du trompettiste Roy Hargrove, enfin, "deux simples mots sur fond noir sur les écrans de nos téléphones portables " dans l'après-midi du samedi 3 novembre 2018, lui qui avait si bien "su rendre le jazz vivant, stylé, urbain, et sexy. Bref, résolument actuel ". Oui, vivement un deuxième tome...
59 rue des Archives. Dans les coulisses de la grande histoire du jazz, David Koperhant, Bruno Guermonprez, Rebecca Zissmann (éditions Actusf)