Roy Hargrove, l'ange destroy...
Un ange noir, sur scène... Doté d'une élégance destroy qui nous le rendait tellement attachant et tellement essentiel, Roy Hargrove s'est éteint à seulement 49 ans, à New-York, des suites d'un arrêt cardiaque, et au terme d'une décennie où nous le savions l'objet d'addictions et de pépins de santé en tout genre. Cet ex-jeune lion révélé par Wynton Marsalis incarnait un jazz de la pulsation, en renouvellement permanent, et sans avoir besoin pour cela d'allumer les pleins phares d'une modernité parfois bien factice chez tant d'autres. Il n'avait pas encore tout à fait 40 ans lorsqu'il avait gravé, en 2009, un fabuleux disque en big band, Emergence. Voici ce qui avait été bloggé à l'époque.
La crise, il ne connaît pas. En ces temps de disette jazzistique où ça fusionne et dé-subventionne à tout va, voilà que Roy Hargrove et sa nouvelle dream team de jeunes musiciens blacks ressuscitent l’âge d’or des big bands. Debout sax, trombones et trompettes ! Elles résonnent à nouveau, les sirènes cuivrées qui rythmaient autrefois ces usines à swing que l’on pensait figées à l’état de friche orchestrale… Il peut être fier, le trompettiste de RH Factor, d’avoir ainsi perpétué, dans un album malicieusement baptisé Emergence , l’héritage des anciens maîtres de forges en faisant fructifier le capital amassé en leur temps par les Count Basie, les Dizzy Gillespie et autres légendes en grand orchestre.
C’est surtout à Dizzy, en fait, qu’on pense, ne serait-ce qu’à travers les rythmes caribéens qui parsèment le disque. Roy Hargrove a notamment remis sur le tapis le fameux Mambo for Roy que lui avait mitonné en son temps Chucho Valdés dans l’album Habana, avec en bonus Gérald Clayton, ce pianiste surdoué qui avait bluffé TSFJAZZ à Montréal et qui se permet ici des variations à la Rachmaninov en pleines effluves latinos… On pourrait également se croire à la Havane, fin des années 50, avec La Puerta où intervient la chanteuse Roberta Gambarini, qui n’a rien d’un canari, et à qui on doit également une reprise très émouvante de Every Time We Say Goodbye.
Deux autres standards illuminent l’album: le vigoureux September in the Rain , où Roy Hargrove -c’est la surprise du chef- se met lui-même à donner de la voix, et puis My Funny Valentine , dont une partie du thème est doublonnée en suraigu -là encore, on pense à Dizzy Gillespie- avec à la clé un équilibre parfait entre la fidélité à l’oeuvre et le relief que Roy Hargrove met dans chaque note et chaque accord. On l’aura compris: ce n’est pas parce que le big band est à l’honneur qu’on a forcément affaire à une débauche de décibels… Il y a de la balade dans Emergence, de l’oratorio coltranien dans Requiem, magnifique composition du tromboniste texan Frank Lacy, mais aussi une pure volupté harmonique à la Mancini dans les compositions personnelles de Roy Hargrove…
On pense notamment au langoureux et groovy Roy Allan inspiré des B.O. d’Isaac Hayes dans les films de la Blaxploitation, ou encore à Trust, le dernier morceau de l’album, peut-être le plus doux en apparence, sauf qu’à la toute fin du titre, ce sont les cuivres qui surexposent, ou plutôt qui sur-explosent le thème initial avant un ultime et miraculeux enchaînement au saxe tout en volutes et en arrondis… Tendre, fougueux et dantesque à la fois, voilà un album qui tient toutes ses promesses, à la mesure d’un trompettiste de plus en plus accompli alors qu’il n’a pas encore atteint le cap des 40 ans.
Roy Hargrove, 16 octobre 1969-2 novembre 2018