Weather Report, une histoire du jazz électrique
Ils ne se sont pas revus depuis la dissolution de Weather Report... Les retrouvailles Shorter/Zawinul sont lourdes, ce 24 septembre 1987, à Fort Lauderdale... Aussi lourdes que le cercueil de Jaco Pastorius que les deux fondateurs de Weather Report portent aux funérailles du plus célèbre bass hero de tous les temps, tabassé à mort deux semaines auparavant par un videur de boîte... Wayne Shorter n'a gardé qu'un seul souvenir de la cérémonie: le père de Jaco, hurlant à la mort en frappant le couffin, "ça ne peut pas se terminer ainsi ! ça ne peut pas se terminer ainsi !"
Le sens du récit dont fait preuve Christophe Delbrouck dans "Weather Report, une histoire du jazz électrique" (Editions le Mot et le Reste), ne s'arrête pas seulement à cette épitaphe "pastorienne"... Dans la foulée du choc ressenti il y a quelques mois lors de la disparition de Joe Zawinul, le lecteur sera d'emblée captivé par l' épopée d'un groupe fondateur du jazz électrique dont Delbrouck (grand amateur de pionniers et déjà signataire d'une bio d'anthologie sur Frank Zappa) restitue ici tous les "climats", toutes les splendeurs, d'un point de vue à la fois éthique, mystique, ethnographique et électroacoustique.
Ce n'est pas lui faire injure en même temps que d'avouer qu'on est d'abord saisi, à la lecture du livre, par la dimension humaine de Weather Report. Il était une fois, donc, Joe et Wayne... Christophe Delbrouck les met en scène à la mode " Amicalement Vôtre ". Croisant et décroisant deux trajectoires amorcées à la fin des années 50 dans l'orchestre de Maynard Ferguson, il raconte Zawinul l' enfant de la guerre, le Viennois boxeur et volontaire, puis le pilier du quintet de Cannonball Adderley. En parallèle, il suit Shorter l'introverti, le timide, le méditatif... Shorter en ténor, chez les Jazz Messengers, avant le traumatisme suscité par la mort de Coltrane, ce qui amènera peu à peu l'homme de Footprints à creuser les interstices du soprano.
Ces deux là, Joe et Wayne, vont se retrouver auprès de Miles Davis, (dés l' époque du 2ème quintet pour Wayne) avant de voler de leurs propres ailes, rien que pour faire résonner autrement "In a Silent Way" La suite appartient toujours au registre "Hommes entre eux". Valet de coeur puis valet de pique, Miroslav Vitous et sa gueule d'ange surgit de sa Bohème natale pour former avec ses deux aînés la colonne vertébrale du groupe avant d' en être excommunié, peut-être justement parce que la musique planante de Weather Report, au départ, manquait un peu de colonne vertébrale.
La suite sera donc plus groovy, plus ouverte au quatre coins du monde, Brésil, Caraïbes, Extrême-Orient, Afrique... Zawinul, tout occupé à maîtriser la tornade Pastorius, prendra peu à peu l'ascendant, quitte à se tailler dans le milieu une mauvaise réputation. C'est lui également qui tiendra tête aux majors, qui voulaient des Birdland à la pelle, sans comprendre à quel point la soif de renouvellement du groupe, à chaque album, défiait tous les paramètres commerciaux.
Il paraît, nous dit-on, que la musique de Weather Report est datée... On nous a même dit à un moment que leurs derniers albums étaient déliquescents (Ce jugement a été révisé assez récemment)... Christophe Delbrouck rend justice, au contraire, aux ruptures resplendissantes du tandem Zawinul/Shorter. Ils ont trouvé dans la fée électricité de quoi ressourcer le jazz en musique du monde. Ils ont été, parmi tous les enfants de Miles, les plus intègres, et ils se sont aimés comme seuls savent s'aimer des musiciens de légende.
Weather Report, une histoire du jazz électrique, de Christophe Delbrouck. Interview de l' auteur dans le 20h de TSF, vendredi 21 décembre.