Oscar Peterson par Jacques Réda
Voici quelques extraits d'un joli texte sur Oscar Peterson qui nous a quitté à la veille de Noël... Ces lignes, signées Jacques Réda, sont extraites de son livre: L'improviste, une lecture du jazz (Gallimard Folio, pp. 346-58), et le texte est intitulé : "Oscar Peterson, le dernier pianiste" "
"Il réempoigne vers 1950 toute l'histoire du jazz au piano, et - l'augmentant de toute sa force et de toute sa vitesse personnelles - il la rebrasse et la redouble d'autant plus hardiment que c'est une prouesse superflue: tout est dit et Oscar Peterson ne sert à rien, sinon à Peterson où aboutit la longue série d'engendrements, de réactions, d'emprunts, de ruptures qui le constituent, et l'obligent à se porter lui-même à bout de bras".
"Il est le luxe dont l'histoire du jazz en bout de course se couronne. Mais l'inquiétude n'est pas absente de ce dernier couronnement, et c'est dans l'intense activité presque fiévreuse, dans la surabondance qu'elle se trahit. Comme si d'abord, et la fin proche, Peterson se hâtait de faire ruisseler toutes les notes qui, parce que l'histoire est allée trop vite, n'ont pu être jouées avant lui ; comme si encore l'espace équivoque de la fin pouvait être malgré tout comblé par quelque ultime et titanesque effort dressant contre elle un torrent mélodique infranchissable".
"Powell semble toujours vouloir pulvériser un obstacle ; Peterson se propose plus modestement d'arroser, avec toutefois une ardeur et une profusion quasi lyriques. Aussi pouvons-nous prendre un plaisir égal au sien, quand la vanne s'ouvre à fond d'un seul coup et que le tuyau exécute une gigue fantastique dans l'herbe et au-dessus des massifs, avant que sa pluie heureuse et drue ou caresssante ne nous asperge [...]Lorsqu'il expulse sur une seule ligne ces fourmillements de goutelettes dont chacune semble calibrée au centième de millimètre, mais garde son éclat et sa densité individuels pour tracer, avec toutes celles qui précipitamment la précèdent ou sans se bousculer la poursuivent, de longues liquides lanières associant le caprice, l'imprévu, la logique, et finissant parfois par se confondre en un viole impalpable de mousseline d'eau. A compter des premières années 50, l'histoire fluviale de Peterson n'est autre que celle d'une croissante maîtrise de ce système..."
Oscar Peterson (15 août 1925-23 décembre 2007)