Dimanche 20 janvier 2008 par Ralph Gambihler

Régime sec

"Ce jazz vous parlait de l'exigence absolue de l'équilibre des forces, de la nécessité de l'eau pure, de l'air respirable, de la glaise profonde, du ciel infini, de vos obligations d'êtres pensants, de vos délicatesses. Tout n'était pas perdu. Il restait sur terre des îlots d'éternité et de silence, sans bruits de bottes, des lieux encore autorisés à des lieues de l'autorité"... Il écrit magnifiquement, Olivier Bordaçarre, surtout lorsqu' il met en scène, sur un air du contrebassiste Jean-Philippe Viret, les amours contrariés puis fusionnels de Art et Alice, personnages clés de son deuxième roman "Régime Sec", publié deux ans à peine après "Géométrie Variable", auquel TSF avait consacré un "Jazz Fan"...

A la manière d'un George Orwell qui aurait très mal digéré un récent printemps électoral, Bordaçarre imagine une France livide, à l'horizon 2010, sous la poigne d'une clique pré-totalitaire poussant jusqu'à son terme certains slogans qui ont actuellement le vent en poupe. Le tout sécuritaire se traduit par une surveillance généralisée, "l'ouverture" à tout crin a fait disparaître droite et gauche sous la coupe d'un nouveau parti, le PNAP (Parti de la nouvelle alliance populaire) ... Certaines rues ont été rebaptisées "rue René Bousquet"... Il n'y a plus de travail enfin pour toute une catégorie de la population, reléguée dans des grandes banlieues lointaines, tandis que des flics lâchés comme des chiens "nettoient" les derniers bidonvilles nichés dans les faubourgs parisiens...

Dans l'art de planter le décor, Olivier Bordaçarre ne renonce à aucune férocité. Il n' oublie pas, heureusement, avec un sens du picaresque souvent époustouflant, de donner de la chair à tous ses personnages... Répartis en trois catégories, les victimes, les possédants et les résistants, chacun d'entre eux a son propre langage, formant au final une pastorale urbaine qui swingue à chaque page, de la place Dupleix à un HLM de Choisy-le-Roi, en passant par une cellule de la prison de la Santé et un no man's land de la porte de Bagnolet. L'horizon s'élargit à la fin du roman: une huître vengeresse, une coque perdue dans le Pacifique, un exil andalou.

Maîtrisé de bout en bout, le récit creuse tous les espaces narratifs, avec toujours en arrière plan ce jazz qui résiste et ces bouffées de Coltrane et de Bill Evans qui surgissent au détour d'une séquence, telle une lave incandescente dans ce beau roman volcanique.

Régime sec, de Olivier Bordaçarre (Fayard)