Jeudi 21 février 2008 par Ralph Gambihler

Les Années

Le temps file à toute allure chez Annie Ernaux... Prenant prétexte d' une série de photos qui la représentent depuis son enfance jusqu'à l'âge mûr, l'écrivain déclenche, dans "Les Années" (Gallimard), un tsunami de souvenirs qu'on appelle paraît-il un roman... Un critique a même été jusqu'à parler d'un "grand roman national" ! Car c'est toute la France qui défile au pas de charge sous la baguette d'Annie: le Vélosolex, le dentifrice à la chlorophylle, Maurice Biraud à la radio, la guerre d'Algérie, la Nouvelle Vague, la pub pour le shampoing Dop... Et ainsi de suite, jusqu'à la réélection de Chirac et la dernière version de Windows...

Annie Ernaux s'efface derrière son catalogue: un 33 tour de jazz, par exemple, offert par la Guilde Internationale du disque, ainsi qu'un vinyle de Sidney Bechet apparaissent au détour d'une page, mais ce ne sont que des apparitions justement... Que ressentait-elle à l'écoute de ces disques? Trop tard! Annie Ernaud est déjà passée à la crise hongroise de 56 et aux romans de Françoise Sagan...

Le problème, c'est que cet effacement du "je" entraîne automatiquement un effacement du monde. Rien ne surgit, rien ne fait trace pour le lecteur dans cet enchevêtrement de souvenirs surgelés. Même les plus beaux combats, ceux du féminisme et de Mai 68, se retrouvent rabougris sous l'assaut conjugué d' une prose minimaliste et d'un excès de lieux communs. Avec tout le respect que l'on doit à nos grands auteurs, et en s'inclinant platement face aux critiques dithyrambiques qui ont accompagné son nouvel opus, on pourra peut-être délaisser la compil' d'Annie Ernaux pour un bon vieux numéro des "Enfants de la Télé"... Dans le genre "Ah ce que ça fait du bien de remonter le temps", les échantillons proposés ont au moins le mérite de contourner l'esprit de sérieux.

Les Années, d'Annie Ernaux (Editions Gallimard)