Vendredi 21 mars 2008 par Ralph Gambihler

San Quentin Jazz Band

C'est du jazz carcéral, de l' improvisation dans le néant, des notes perdues, évanouies... Dés les premières pages de San Quentin Jazz Band, on sait qu' on va être en manque de son. Car de cet orchestre là, malheureusement, il n'est rien resté. Aucune transcription. Pas un seul enregistrement. Rien de transmissible.

Pierre Briançon a pourtant relevé le défi... En enquêtant sur ces musiciens de la côte Ouest emprisonnés au début des années 60 et qui jouaient pour leurs codétenus dans la prison californienne de San Quentin, il a fait oeuvre d'exhumation. Il a remplacé le son par l'épopée. Ils s'appelaient donc Art Pepper, Frank Morgan, Dupree Bolton, Earl Anderza, Jimmy Bunn, Frank Washington...

Certains étaient connus, d'autres un peu moins ou pas du tout... La plupart d'entre eux étaient incarcérés pour des histoires de drogue. D'abord shootés aux chorus de Charlie Parker, ils étaient "naturellement" tombés dans d'autres accoutumances. C'était le cas, par exemple, de Jimmy Bunn, cramponné à son clavier lors de la session de juillet 46 où Bird agonisait sur "Lover Man"... Frank Morgan va lui aussi se précipiter dans la nuit héroïnomane, rien que pour avoir le plaisir d'annoncer à Parker qu'il fait enfin partie de la "fraternité de la dope"...

Les damnés du San Quentin Jazz Band devaient forcément mal finir. L' Amérique de cette époque n'avait à vrai dire pas beaucoup d'indulgence pour les jazzmen en général... Musique de junkie, disait-on... Et les tensions raciales n'arrangeaient rien... Difficile dans ces conditions d'échapper au cycle infernal précarité-toxicomanie-prison... Dupree Bolton, ce trompettiste colérique et survolté que certains comparaient déjà à Miles Davis, va finir clochard à San Francisco. Earl Enderza, altiste d'avant-garde, sombre dans l'anonymat, puis dans le cancer, à même pas 50 ans.

Frank Washington disparait lui aussi de la circulation alors qu'il semblait aussi robuste que sa contrebasse entre les quatre murs de San Quentin. Jimmy Bunn terminera chauffeur pour maison de retraite. Il s'était pourtant accroché jusqu' au bout à ce piano qui était sa raison de vivre. Art Pepper sera l'un des rares à surnager, tout comme le regretté Frank Morgan dont TSF avait retransmis le concert, en novembre dernier au Sunset, et qui semblait tellement heureux lorsqu' il lâchait "Isnt' it great to be alive ?"...

C'est ce souvenir là qui imprègne les dernières pages du livre: "Malgré le manque et la taule, écrit Pierre Briançon, les musiciens du San Quentin Jazz Band continuent de jouer envers et contre tout. Ils affirment à chaque note, solo après solo, que rien ne pourra les priver de leur musique". Toutes ces vies cisaillées, grillagées, hachurées ou brisées, ramènent dés lors le jazz à ce qu'il a toujours été: un chant de résistance et un cri de liberté.

San Quentin Jazz Band, de Pierre Briançon (Editions Grasset) Coup de projecteur jeudi 27 mars à 6h30, 8h30, 13h et 17h