Mercredi 26 mars 2008 par Ralph Gambihler

A la mémoire de Tommy Udo

Dans n' importe quelle série B. américaine, Tommy Udo aurait certainement été un colosse patibulaire, grande gueule bête et méchante, sans un poil de mystère, trop buffle pour taquiner l'envergure... Seulement voilà, sur le plateau du Carrefour de la Mort, en 1947, devant la caméra de Henry Hathaway, Tommy Udo a les traits de Richard Widmark, qui vient de s' éteindre à l' âge de 93 ans.

C'est son 1er grand rôle à l' époque. Widmark est mort de trac. Alors il s'invente un rictus nerveux, un rictus de hyène maléfique qui marquera à jamais des générations de cinéphiles... C'est le scénariste Ben Hecht qui eut en premier cette idée consistant à faire jouer un personnage de méchant par un acteur gringalet, visage blême, reprenant tous les tics du parfait camé...

On connait la suite, et notamment le traitement particulier que Tommy Udo va réserver à l'une de ses victimes, une vieille dame infirme, bloquée sur sa chaise, et que notre tueur carnassier précipite sans le moindre état d'âme du haut d'un escalier... Psychopathe famélique camouflant ses fissures intérieures sous une cruauté sans nom, Tommy Udo est le genre de personnage qu'on adore convoquer lorsqu'on ressent, parfois, l'envie de s'immerger dans les trips les plus extrêmes du bon vieux film noir américain.

Il est vrai qu'à côté du personnage du gentil incarné par le balourd Victor Mature, Widmark captive d'entrée de jeu. " Son " Tommy Udo est une pile, un tremblement permanent, un son saturé... Il ricane, donc il est... Mais il transcende aussi, par le génie de l'acteur, le clicheton de l'assassin frappadingue pour incarner, subrepticement, la figure de l'anti-héros auquel Richard Widmark prêtera des nuances inattendues dans quelques autres chefs d'oeuvre signés Jules Dassin, ou encore Samuel Fuller...

Le critique Noël Simsolo (invité de "Jazzfan" dimanche prochain), a très finement observé, justement, dans son "Film noir: vrais et faux cauchemars" (Editions Cahiers du Cinéma), comment, dans "Les Forbans de la Nuit" comme dans "Le Port de l'Angoisse", Widmark est parvenu à moduler son profil de canaille pour en faire ressortir le côté roublard et vulnérable dans le film de Dassin, ou encore le cynisme détaché et finalement empatique dans le long-métrage de Fuller... La carrière de l'acteur aurait effectivement souffert à être cantonnée dans le registre de l' hystérie. En même temps, il faut bien avouer que les killers branques dont Richard Widmark fut l'une des plus sublimes silhouettes ont laissé la place, aujourd'hui, à des serial exténués, style le tueur des frères Coën... Ceux là ne ricanent plus. Quand ils dégainent, ils font la gueule. Tommy Udo, lui, tuait joyeusement et de manière parfois fort originale. Des comme lui on n'en fait plus.

Richard Widmark (26 décembre 1914-24 mars 2008)