Jeudi 8 mai 2008 par Ralph Gambihler

Le Jazz pour les Nuls

Je sais bien qu'il faut démocratiser le jazz et le rendre moins élitiste. De là à concocter une initiation à cette musique où pas une seule fois n'apparaissent les noms de Keith Jarrett, Ahmad Jamal, Oscar Peterson, Johnny Griffin ou encore Erroll Garner, il y a un peu d'abus. Ne consacrer que quelques petites lignes aux deux géants du jazz les plus médiatisés de ce début de 21ème siècle, à savoir Sonny Rollins et Herbie Hancock, n'est pas non plus sans causer quelques problèmes.

De toute évidence, Dirk Sutro, responsable des pages jazz du Los Angeles Times, a raté, avec "Le Jazz pour les Nuls", son pari, malgré le renfort de ce vulgarisateur hors pair (il a signé l' adaptation en français) qu'est Stéphane Koechlin. Le fond de l'affaire, me semble-t-il, c'est que Dirk Sutro n'historise pas le jazz. Une fois qu'il a procédé au découpage classique (Swing/Be-bop/Hard-Bop/Free Jazz), il accumule les noms de musiciens en-dehors de toute articulation. Pourquoi ne s'est-il pas attardé sur quelques morceaux ou albums ? Que nous dit-il d' un événement comme Kind of Blue ? Pourquoi ce fut un événement ? Eh bien le lecteur ne le saura pas...

Comment raconter, pourtant, l'histoire de cette musique, sans s'arrêter sur les quelques sessions qui en ont ébranlé toute l'architecture ? Le passage sur Armstrong, par exemple, est révélateur: "A la fin des années 20, écrit l' auteur, avec les Hot Five et les Hot Seven, Armstrong avait déjà réalisé ses enregistrements les plus importants". On en saura pas plus sur ce qu' a signifié l'enregistrement de West & Blues, le 28 juin 1928... Idem pour d'autres séances "historiques", celles où la "jazzologie" s'efface derrière des histoires d'hommes: la déchirure de Charlie Parker sur "Lover Man", le silence provocateur de Monk face à Miles pendant "The Man I Love"...

Pour ma part, j'avoue que c'est d'abord en entendant ces histoires, même si elles relevaient parfois de la légende, que j'ai eu envie de m'intéresser au jazz. Ce "Jazz pour les Nuls" en revanche, ne m'intéresse pas. Le chapitre sur les rudiments de théorie m'a rendu aussi "nul" en la matière qu' avant la lecture du livre. Quand l'auteur prend le temps de creuser un ou deux angles, en s'arrêtant sur le blues par exemple, ou sur le Latin Jazz, on accroche... Mais trop souvent ça va à toute berzingue, avec parfois des carambolages étranges, à l' image de ce pauvre Bill Evans qui se retrouve catalogué au milieu de musiciens West Coast, ou encore de Gato Barbiéri, étiqueté musicien de bossa nova... L

La dernière partie de l'ouvrage part en quenouille: on y apprend, en vrac, comment repérer les bonnes places dans les salles de concert, comment initier son enfant au jazz, comment trouver un super-prof ou comment monter un groupe ! Dirk Sutro n'est plus très loin, dés lors, du hors-sujet... Il lui reste encore à énumérer les meilleurs festivals de jazz au monde (il ne cite pas Montréal), puis à faire l'inventaire de la presse jazz en France en notant que les meilleures critiques sur le jazz sont dans "Les Inrockuptibles" (!!!)... Après ça effectivement, on est très avancé...

Le Jazz pour les Nuls, Dirk Sutro (First Editions), parution le 5 juin