Mercredi 14 mai 2008 par Ralph Gambihler

Angels in America

Quelle montée en puissance ! Quelle somme d'images et de coups de génie scénographiques ! "Angels in America", encensée depuis le dernier festival d' Avignon comme LA grande pièce à voir cette saison à Paris, débarque donc cette semaine au théâtre du Rond-Point dans une version polonaise signée Krysztof Warlikowski.

Ce monsieur n'est pas un amateur... Il maîtrise son Shakespeare de A à Z et je lui suis aussi redevable d'un sacré choc, il y a quelques années, aux Bouffes du Nord, lorsqu'il avait mis en scène "Le Dibbouk", une pièce empruntée à la culture juive et qu'il avait transcendée en créant de superbes séquences sur le plan visuel et émotionnel. "Angels in America" dure... cinq heures (avec entracte) ! Cinq heures qui tourbillonnent sous nos yeux et sans le moindre enlisement de paupières, grâce à la fluidité, au travail sur la lumière, au jeu des acteurs et à l'ambiance musicale de la pièce, avec en guise de climax le Star Spangled Banner de Jimmy Hendrix.

Il n'y a que le sujet, ou plutôt le style de sujet à l'origine de cette pièce, qui finalement perturbe le jugement. Créée en 1991 par l' Américain Tony Kushner, "Angels in America" raconte le Sida sous les années Reagan à travers une fresque un peu lourdingue et typiquement new-yorkaise, y compris dans le manque de finesse qui parfois caractérise certaines productions de la gauche radicale américaine. Deux couples, l' un homo, l'autre hétéro, se délitent sous les effets conjugués de la maladie et de l'attirance vers le sexe non-opposé. Mais le personnage principal semble être cet avocat ordurier qui a réellement existé et qui après avoir sévi sous le maccarthysme est mort du sida tout en professant jusqu'au bout une homophobie infaillible...

Et comme la pièce traite des vieux démons de l' Amérique ( l'hypocrisie morale, les discriminations, la loi du fric et ses casseroles de mensonges), elle regorge également d'anges et de fantômes qui apparaissent au gré des hallucinations des personnages, à l' image d' Ethel Rosenberg, exécutée avec son mari pour espionnage en pleine guerre froide, et dont le kaddish final -la prière des morts- au chevet de l' avocat véreux, est le plus grand moment du spectacle. L'ordre moral étant ce qu'il est aujourd'hui en Pologne, Krysztof Warlikowski a aisément pioché dans le propos de la pièce ce qui lui apparait comme essentiel sur le plan politique et ce qui apparaîtra peut-être un peu plus daté pour d'autres publics européens. A chacun ses miroirs...

Ceux qui définissent le dispositif scénographique de la pièce ont en tout cas un pouvoir de métamorphose extraordinaire: ameublé au départ de façon assez moche, le plateau se retrouve peu à peu plongé sous des lumières de vitrail qui subjuguent le public. Une ambiance à la David Lynch imprègne également certaines scènes. Ce théâtre là est d'abord une affaire de magnétisme. C'est un théâtre "aimant", dans tous les sens du terme, et dont on imagine avec délice l'équivalent choral et cinématographique qu' aurait pu en donner Robert Altman, qui avait été pressenti à un moment pour une adaptation sur grand écran.

Angels in America, au Théâtre du Rond-Point à Paris (jusqu' au 18 mai)