Dimanche 7 septembre 2008 par Ralph Gambihler

Miracle à Santa Anna

Spike Lee n'est pas forcément fait pour le film de guerre. On devine évidemment quelle énergie il a puisée pour traduire en images, à partir d'un roman de James McBride, le combat oublié des afro-américains pendant la Seconde Guerre mondiale. Un double combat, en fait, contre les nazis, mais aussi contre les oeillères racistes d'un état-major qui n'hésitait pas à bombarder ses "nègres", comme ce fut le cas dans cette contrée de Toscane, en 1944...

Spike Lee aurait pu s'en tenir à cet angle, et "Miracle à Santa Anna" nous aurait alors autant bouleversé qu' "Indigènes" de Rachid Bouchareb, autre grand film de guerre à visage humain. "Miracle à Santa Anna", hélas, ne s'en tient pas là. Dans le film, quatre Gi's noirs sont amenés à protéger un enfant italien, seul rescapé d'un massacre nazi. Le spectateur est alors embarqué dans une chronique villageoise remplie de clichés, avec des partisans italiens pas crédibles pour un sou et des soldats allemands qui, paraît-il, ont eux aussi un rapport très fort avec la religion.

Le film de guerre devient alors un conte de fée embué de mysticisme, d'invraisemblances et de mièvrerie avec, comble du cauchemar, une B.O. qu'on n'ose même pas associer au compositeur attitré de Spike Lee, le trompettiste Terence Blanchard, et qui s'avère aussi claironnante que les pires films de guerre américains des années 50. Devant tant de lourdeurs, de boursouflures et de big bazar intérieur, on pense à ce qu'aurait donné le film si s'était trouvé, derrière la caméra, un certain Clint Eastwood par exemple...

Mais bon! On sait ce que Spike Lee pense de Clint Eastwood... Ces deux là s'en sont échangés de vertes et de pas mûres il y a quelques mois, lorsque Spike avait descendu en flammes "Mémoires de nos pères" parce que Clint Eastwood n'avait pas filmé de soldats noirs dans son long-métrage sur la bataille d'Iwo Jima... Eastwood avait beau répliquer qu'à ce moment là les noirs en question étaient sciemment retenus à l'arrière, à des tâches subalternes, Spike Lee n'avait pas désarmé d'un iota : "Personne ne filme mieux les Blacks qu'un Black !" , a t-il récemment lâché, avec le sérieux imperturbable qu'on lui connaît.

L'autisme du propos rend franchement malheureux. Dizzy Gillespie aurait-il lâché une telle insanité du genre "personne ne joue mieux du jazz que les Blacks !", lui qui, au début des années 70, parvenait à extraire Chet Baker des enfers où il s'était englué pour le faire remonter sur le devant de la scène? En grand jazzfan qu'il est, Spike Lee a-il exclu de son panthéon musical, parce qu'ils étaient blancs, Bix Beiderbecke, Bill Evans, ou encore Stan Getz et Art Pepper ? En vérité, si "Do the Right Thing", "Jungle Fever", ou encore le documentaire qu'il a récemment réalisé sur le cyclone Katrina à la Nouvelle-Orléans sont des oeuvres sublimes, ce n'est pas parce que Spike Lee est noir, mais parce qu'il est un immense cinéaste auquel la Cinémathèque rend ce mois-ci un hommage amplement justifié... Quant à l'échec de "Miracle à Santa Anna", il renvoie moins en fin de compte à l'identification forcenée du cinéaste à son sujet qu'aux errances d'une co-production internationale dont il n'a pas maitrisé grand chose...

Miracle à Santa Anna, de Spike Lee (Sortie en salles initialement prévue le 22 octobre mais aux dernières nouvelles la sortie a été repoussée aux calendes grecques...)