Cinéma, Cinémas en DVD
Plus qu'une histoire de télévision, "Cinéma, Cinémas" est une histoire d'éducation... Nous n'avions pas d'Henri Langlois à l'époque, mais en ces années là, 1983, 84, 85, une fois par mois, en fin de soirée, seul devant le petit écran quand les parents étaient déjà couchés, un générique hallucinant nous embarquait dans un royaume de rêves...
Sur la musique de "Une Place au Soleil", de George Stevens, un plateau de cinéma en bande dessinée voyait se succéder la silhouette de Jean-Luc Godard, la fontaine de "La Dolce Vita", et puis Rita Hayworth au pied d'Orson Welles avec son fameux "I don't want to die !" extrait de "La Dame de Shanghaï"... Une sonnerie soudain retentissait, un homme fonçait dans un couloir étroit -le fameux couloir d' "Alphaville"- l'homme ouvrait une porte, puis une autre, et commençait alors quelque chose de tremblant, de mystérieux, de mythologique... C'était déjà ça, la force de "Cinéma, Cinémas": prendre le 7ème d'art d'emblée dans sa dimension de mythe.
Quand Sam Fuller par exemple commentait une scène de l'un de ses chefs d'oeuvres, "Le Port de la Drogue", l'extrait du film était montrée en tremblé, comme pour mieux percer ce qui, dans les ténèbres d'une salle obscure, peut tout simplement aider à vivre... Dans "Cinéma, Cinémas", bien d'autres séquences étaient montées à la manière des films noirs, avec parfois une ambiance très jazz, sans oublier une façon très particulière de rendre fascinant tout ce qui était en voix off.
Les sorciers de "Cinéma, Cinémas", à savoir Claude Ventura, Anne Andreu et Michel Boujut, faisaient ainsi swinger le son et l'image. Ils saisissaient aussi les géants d'Hollywood dans leurs dernières années... Il ne s'agissait surtout pas de revisiter toute leur carrière... Ils commentaient simplement un moment de leur légende, un film... Pour Robert Mitchum par exemple, c'était "La Nuit du chasseur"... Quand à Richard Widmark, le seul but du jeu était apparemment de ressusciter en lui, entre deux rides, le célèbre ricanement pyschopathe de Tommy Udo dans "Le Carrefour de la mort".
Dans "Cinéma, Cinémas", tout était constamment dans le "décalé", c'est à dire au coeur du cinéma... Une interview se faisait dans une voiture, ou sur un lit d'hôtel... De Niro se prenait un chien dans les pattes. Pour Dominique Sanda, c'était un chat qui s'inscrustait dans le cadre... Dutronc répondait non pas à des questions mais à des mots lâchés par son intervieweuse sur un magnéto... Angie Dickinson, rayonnante, révélait en français son vrai prénom devant les deux "frenchies" qui lui faisaient face... Et puis il y avait les tournages, les inédits, Godard engueulant son chef op', Mocky dans son big bazar, Pialat dans son style... On repartait sur les traces du "Voleur de bicyclette", on passait une petite annonce pour retrouver la "Lolita" de Stanley Kubrick, on enterraitstrong> Truffaut, on saisissait les premiers envols de Charlotte Gainsbourg, si poignante à ne pas pouvoir dire ce qu'elle trouvait de si magique dans les actrices d'autrefois.
Et puis un beau jour, toutes les portes se sont fermées à clé, et "Cinéma, Cinémas" s'est arrêté. André S. Labarthe, collaborateur de la première heure et pionnier de l'écriture ciné-télévisée, en avait pris acte, à sa manière, dans ce fameux moment du printemps 87 où allaient se télescoper la palme d'or huée de Pialat, la disparition de Rita Hayworth, et l'apparition d'une forme de promo extrêmement vulgaire à la télévision... André S. Labarthe stigmatisait cette nouvelle "écriture" télévisée, scabreusement "people", jouant à la fois la transparence et l'indécence et refluant toute magie dans la façon de parler du cinéma... La Dame de Shanghaï pouvait continuer : "I don't want to die !", le mal était fait... Adieu Rita Hayworth... Adieu "Cinéma, Cinémas".
P.S. Guy Peelaert, à qui on devait justement le générique dessiné de "Cinéma, Cinémas", vient de s'éteindre.
Cinéma, Cinémas en DVD (Editions de l'INA) Claude Ventura est l'invité des Lundis du Duc, ce lundi 10 novembre, sur TSF, à partir de 19h.