Mercredi 3 juin 2009 par Ralph Gambihler

Soul Power

1974, année pugilistique... La boxe, effectivement, est reine au coeur de Kinshasa, dans l'ex-Zaïre, pour ce qui est présenté comme le match du siècle entre Muhammad Ali, ex- Cassius Clay, et George Foreman, champion du monde en titre... Mobutu, le dictateur de l'époque, leur a offert une fortune à tous les deux pour que ce choc   de titans soit organisé en Afrique. On n'a pas lésiné non plus sur la symbolique du match entre d'un côté Ali le Panafricain, le puncheur rebelle et joyeux, et de l'autre côté Foreman le mal-aimé, la brute épaisse, la momie sans coeur qui n'a jamais trop daigné ébruiter, contrairement à son adversaire, une quelconque sympathie pour les combats afro-américains les plus radicaux.

Il restait évidemment à inventer une bande-son hors-normes pour ce "Rumble of the Jungle" auquel Norman Mailer consacrera un récit d'anthologie... Eh bien cette bande-son, c'est tout le sujet de "Soul Power ", un documentaire en constante ébullition sur le festival légendaire qui s'est déroulé à Kinshasa avant la rencontre entre Muhammad Ali et George Foreman. Au départ, les deux événements devaient coïncider, mais au dernier moment, Foreman décide de retarder le combat de quelques semaines, laissant Muhammad Ali accueillir seul les stars qui vont se succéder pendant trois journées entières dans le grand stade de Kinshasa.

Et quelles stars ! James Brown, B.B. King, Celia Cruz avec son Fania All-Stars où s'est notamment niché un certain Ray Barretto... Les Crusaders, le seul groupe multiracial du festival,  ont également fait le déplacement depuis les Etats-Unis, mais il y a aussi les icônes du continent noir, les héros de la lutte anti-Apartheid comme Miriam Makeba et Hugh Masekela... Manu Dibango est également de la partie... Un premier doc,  "When We Were Kings ", sera réalisé autour de cette symbiose de la soul, de la boxe et de la politique, mais avec une tonalité musicale quelque peu en retrait par rapport aux autres dimensions de l'événement...

"Soul Power " au contraire, met d'abord l'accent sur les performances scéniques grâce à tous les rushes qu'a pu réunir Jeffrey Levy-Hinte, le réalisateur du documentaire. On y découvre également tous les préparatifs du festival, les artistes en backstage, ainsi que les animations populaires dans les rues de Kinshasa... Résultat: un mix d'enfer dont les différentes séquences rivalisent de puissance... James Brown et sa moustache triomphante, les diamants aux doigts de B.B. King, le funk jazz géantissime des Crusaders , l'extravagante tenue de Celia Cruz.

Au-delà de la boxe, c'est bien l'Afrique et sa petite soeur des Caraïbes qui étincelaient de tous leurs feux en cet automne de l'an 74, même si les sbires de Mobutu étaient à l'affût... Et en même temps, dans cette orgie de Great Black Music qui inonde tout le film, c'est curieusement la figure de Muhammad Ali qui  s'imprime le mieux à l'esprit... Même lorsqu'il est au côté de James Brown, c'est lui qui a des airs de fou chantant. C'est lui qui exulte le plus, tant il était conscient, semble-t-il, du pied-de-nez qu'il envoyait à la face de l'Occident en réunissant autant de grands noms à sa gloire, et  sur le continent noir... Quelques semaines plus tard, George Foreman était envoyé au tapis, au huitième round... Il est vrai que le genre Soul Power, d'une certaine manière, on a toujours du mal à s'en relever.

"Soul Power ", de Jeffrey Lévry-Hinte (Sortie en salles le 10 juin) Emission spéciale sur TSFJAZZ, dans les Lundis du Duc, le lundi 8 juin à partir de 19h.