Samedi 23 janvier 2010 par Ralph Gambihler

Extérieur nuit

Ce film-là, comme ses personnages, aura toujours 30 ans et il ne laissera jamais personne dire que c'est le plus bel âge de la vie. C'est en 1980 que Léo, Cora et Bony ont débarqué dans les salles obscures sur un air de sax et de bandonéon. Léo, c'était Gérard Lanvin quand on pensait encore que ce serait le futur Patrick Dewaere... Cora, c'était Christine Boisson, étoile filante ayant filé trop vite dans le paysage cinématographique... Bony, c'était André Dussolier avant son virage intello.

Le film s'appelait Extérieur nuit. Une fille, deux mecs... Lanvin jouait un musicos en déshérence, glandeur de première, trouvant refuge chez Dussolier, un vieux pote écrivain un peu désabusé ... "J'ai fait l'amour dans un taxi", lui balance-t-il, un soir... "Avec le chauffeur ?", rétorque Dussolier qui ne croit pas si bien dire...

Car dans le film, le chauffeur est une belle de nuit, une tigresse solitaire, incandescente et  farouche. Elle a un look androgyne, une tâche à l'oeil et des envies de griffer, surtout lorsque certains clients lui cherchent misère ou lorsqu'elle trouve dans leur portefeuille de quoi financer son désir de prendre le large. Tendresse, sexe, volonté de se barrer ailleurs pour échapper à la crise et au no future qui frappent déjà très fort à l'orée des eighties...

Le trio d'Extérieur nuit va ainsi déambuler dans l'un des spleens nocturnes les plus poignants du cinéma français. Au ras du bitume, sur les berges d'un canal, dans un club de jazz ou dans un simple troquet, Léo, Cora et Bony vont réinventer Quai des brumes et A bout de souffle au gré d'un road-movie intra-muros conjuguant Paris tout en volutes et en pavés mouillés... Lorsque Extérieur nuit sort en salles, ce sont surtout les bonnes fées du polar qui vont se pencher dessus... François Guérif, le patron des éditions Rivages/Thriller, évoque un film noir qui "sait être lyrique avec pudeur, désespéré avec élégance" tandis que le regretté Jean-Patrick Manchette salue une oeuve "néovaguiste"...

Il y avait de quoi étrenner une néo-Nouvelle Vague, effectivement, dans ce recours à un 16 mm brut de décoffrage, dans cette bande-son parfois étouffée, dans ce montage tout en syncopes et complètement entrelacé avec les différents motifs musicaux de la B.O. signée Karl-Heinz Schäfer. Comme les acteurs, les dialogues étaient en état de grâce.Des dialogues entre Prévert et Audiard, à l'image de cette séquence ou Dussolier délire sur sa vocation à atteindre "l'immobilité de la pierre"... Finalement, il n'y a pas eu de nouvelle "Nouvelle Vague". Finalement, il n'est resté que du vague à l'âme. Pour on ne sait quelles raisons, Jacques Bral, le réalisateur du film, n' a tourné par la suite que trop de peu de films. Leos Carax a connu les mêmes difficultés un peu plus tard... Les années 80 ont préféré porter aux nues Luc Besson et Jean-Jacques Beinex. Cora, Bony et Léo se sont ainsi échappés sans laisser trace. Et à trente ans de distance, évidemment, ils n'ont pas pris une seule ride...

Extérieur nuit, de Jacques Bral (reprise en salles dans une version masterisée le 27 janvier). Le réalisateur est l'invité des "Lundis du Duc", ce 25 janvier sur TSFJAZZ (19h-20h) avec à ses côtés Christine Boisson et le réalisateur Jean-Claude Missiaen