Dimanche 7 février 2010 par Ralph Gambihler

Metacortex

Il faut reprendre Maurice G.Dantec au sérieux... Il y a un an encore, on s'était résolu à en rire, édifié par la vacuité sous amphet' et le tournis métaphysico-farcesque de Comme le fantôme d'un Jazzman dans la station Mir en déroute, récit ubuesque convoquant la figure d'Albert Ayler dans une fable SF sans queue ni tête...Ouf ! Dans "Metacortex", Dantec laisse au moins les fantômes du jazz reposer en paix.

Il est revenu à sa marque de fabrique, l'odyssée apocalyptique, avec un personnage de flic montréalais aussi damné que l'enquêteur de "Villa Vortex", dont "Metacortex" est en quelque sorte le 2ème volet... Le type s'appelle Verlande...C'est un prédateur, un moine-soldat doté d'un cerveau-machine qui lui permet d'entrevoir les plans secrets des pires assassins... "Nous ne protégeons plus que le cadavre d'une société. Mais nous devons protéger ce cadavre". Le travail de Verlande, du même coup, consiste à faire le tri entre les morts et les vivants, au milieu de toutes les régressions et les catastrophes qui s'abattent sur les rives du St-Laurent...

Guerres civiles, chaos climatique, exodes massifs... Maurice G.Dantec raconte un monde post-industrialisé, complètement cybernétisé et atomisé à l'extrême. Un monde où les frontières ont explosé et qui est revenu à l'état de nature (un monde qui ne donne pas vraiment envie de voter "Europe Ecologie")...  La crise est à la fois écologique,  énergétique et alimentaire. Des éco-réfugiés s'attaquent à des cultivateurs de bio-carburants... Des "favelas nautiques" surgissent au coeur des mégapoles tandis que s'entremêlent  réseaux pédophiles, polices parallèles et micro-terrorisme.

On reconnait là, évidemment, tous les cauchemars qui travaillent l'auteur des "Racines du mal" depuis qu'il s'est converti à un ultra-christianisme mâtiné d'islamophobie métastasant, ici, dans une vision fondamentalement "Dark Blue" du genre humain... "Le monde est gris, écrit Dantec, il est nuit et brouillard, limbes recouvrant la ville, il est un simulacre grandeur nature"... Pensées malsaines ? Peut-être, mais quelle prose ! Avec en bonus un trait d'union tourbillonnant entre les enquêtes de Verlande et le passé de son père, un ancien de la Waffen SS qui, du front russe au Ghetto de Varsovie, a fait lui aussi l'expérience que "la chair humaine est l'un des produits de la nature les plus difficiles à consumer".

En la circonstance, Maurice G.Dantec se la joue un peu Jonathan Littell, jusqu'à cette jonction finale entre les tunnels du Ghetto et les galeries en profondeur où le flic de "Metacortex" découvre les pires horreurs à travers des pages qui font magistralement écho au "Salo ou les 120 jours de Sodome " de l'ami Pasolini... Alors oui, effectivement, il faut reprendre Maurice G.Dantec au sérieux et le remettre sur le piédestal de cette "littérature de la chute" où il excelle.  Dantec est redevenu dantesque ! Il faut en même temps prendre acte de ses limites : les pages où Verlande accède à une sorte de connaissance extra-sensorielle des ténèbres auxquelles il est confronté grâce à on ne sait quelle méta-forme cérébrale mi-cube mi-tube sont carrément foutraques.

Le monolithe noir de Kubrick dans "2001, Odyssée de l'Espace" avait quand même plus de poésie. Du coup, le lecteur perd pied, et l'enquête perd de son intérêt ("Villa Vortex" évitait cet écueil d'extrême justesse) ... C'est ce qui nous fait penser, au terme de 800 pages à la fois stupéfiantes et harassantes, que Dantec est encore en convalescence, et que depuis "Cosmos Incorporated", il ne parvient plus vraiment à retrouver cet art du récit à visage humain qui le rendrait définitivement imperator pour penser le monde de demain...

"Metacortex" (Albin Michel), de Maurice G.Dantec (voir aussi l'excellente analyse de l'essayiste et polémiste Juan Asensio sur son blog Stalker)