The Jazz Fusion Years
Ce jazz là n'a jamais eu bonne presse... Trop commercial, trop mélangé, trop enclin à laisser dans l'ombre d'autres aventures musicales de la même période, le jazz fusion a également pâti, peut-être, d'un vieillissement accéléré tendance pat d'eph'... Il est vrai que les années 70 n'ont jamais eu bonne presse elles non plus... Les barricades, c'était déjà hier... Il fallait à l'époque se coltiner les Nixon, Giscard et autres Maritie et Gilbert Carpentier... Dur, dur, la carte postale... Compliquée, la mythification des années fusion alors qu'aujourd'hui encore on continue à glorifier, historiquement parlant, l'ère du swing, l'épopée du bop et l'odyssée du free.
Autant dire que le boss de "Jazz Magazine", Frédéric Goaty, aura superbement rempli sa mission d'irréductible Gaulois en désembuant le rétroviseur sur ces Jazz Fusion Years à travers une double compilation en forme de réhabilitation... Et ce sont, miracle, des trésors qui mettent à nouveau le feu à nos enceintes, à commencer par un Miles Davis sorti de derrière les fagots et qui groove méchamment, d'entrée de jeu... Il a fallu attendre 2003, en fait, pour découvrir ce "Duran" -c'est le titre du morceau- qui n'avait pas trouvé sa place au départ dans l'album-tribute que Miles dédie au boxeur Jack Johnson à l'orée des seventies.
Démarrer (et conclure par la même occasion) ce double CD avec Miles Davis n'est évidemment pas dénué de sens : le jazz fusion, c'est la suite de "In a Silent Way" et "Bitches Brew"... C'est le même noyau dur de musiciens, de Joe Zawinul à Tony Williams, en passant par Chick Corea... Ils étaient là lors des albums fondateurs, lorsque la fée électricité s'est penchée sur le berceau de ce nouveau jazz pour le muscler en décibels et lui donner, dans un même élan, une plasticité inédite dont ce vieux diable de John McLaughlin serait le premier grand disciple... Il frappe un premier coup de géant, le guitariste, avec le Mahavushnu Orchestra, dont Goaty a exhumé un "Dawn" des plus damnés, ne serait-ce qu'à travers la spectrale intro au violon de Jerry Goodman...
L'autre coup de maître de McLaughlin, ce sera évidemment cette plongée dans les sonorités voyageuses de la musique indienne avec son nouveau groupe Shakti, et notamment cette trépidante "danse du bonheur" dans laquelle s'inviteront un violoniste d'un tout autre genre, L. Shankar, ainsi que le tabla de Zakir Hussai... Encore plus barrée, et tellement savoureuse, la "Medieval Overture " de Chick Corea version Return to Forever, avec dans la bande un bass héro nommé Stanley Clarke qu'on retrouve dans le tubesque "Schooldays". Pourquoi les radios ne passent plus ce genre de morceau ? ", s'interroge Frédéric Goaty dans les notes de livret.
Disons que le jazz fusion, ça rafraîchit les oreilles quand on n'en a pas goûté depuis des lustres, mais que quotidiennement parlant, ce n'est pas forcément ainsi qu'on a envie de faire swinger son p'tit dej... Le jazz fusion, c'est en outlist que ça se déguste, pas en playlist, à l'exception d'un super hit comme le "Birdland" de Weather Report... En fin de compte, c'est avec doigté et parcimonie qu'il faut en goûter les volutes néo soul ("Power of Soul" de Idris Muhammad), funk (Les Headhunters sans Herbie Hancock, ça avait quand même une sacrée allure...) ou pop, à l'image de cette déchirante ballade que Jeff Beck va extraire du clavier de Stevie Wonder en adaptant le fameux "Cause We've Ended As Lovers"... C'est bien le climax d'une époque pleine de resplendissantes ruptures qui est ici restitué, au-delà du pillage et des ravalements de triste figure dans lesquels le jazz fusion a fini par se fondre sous le poids de certaines majors... Il est vrai qu'on entrait alors dans les années 80 et qu'à postériori on allait très vite regretter Maritie et Gilbert Carpentier...
"The Jazz Fusion Years" (Sony), émission spéciale ce vendredi 25 juin dans le 20h de TSFJAZZ avec pour invité Frédéric Goaty