Lundi 12 juillet 2010 par Ralph Gambihler

Le Bruit des glaçons

C'est un peu long, 24 ans de disette ou de semi-déception, mais ça vaut quand même le coup d'annoncer la bonne nouvelle un peu en avance : "Le Bruit des glaçons", prévu dans les salles fin août, s'annonce comme le plus beau film de Bertrand Blier depuis "Tenue de soirée" sorti en l'an 86. On n'ira pas, certes, jusqu'à convoquer l'implacable "Buffet froid" ou le déchirant "Beau-père", ces deux diamants noirs qui depuis belle lurette font partie de notre carte d'identité cinéphilique dans ce qu'elle a de plus biométrique. Il n'empêche qu'ici, le réalisateur des "Valseuses" retrouve une puissance corrosive qui va de pair avec une bonne dose de tendresse, comme si  "Le Bruit des glaçons" était probablement  l'oeuvre la moins "méchante" de Bertrand Blier, alors que c'est l'histoire d'un homme qui reçoit la visite de son cancer.

Le cancer, c'est Dupontel. Une vraie tête de Méphisto, le Albert. Le spectateur le découvre d'abord de dos, marchant à grandes enjambées vers un vieux mas des Cévennes où Jean Dujardin, looké à la Jean-Pierre Marielle, noie dans l'alcool (d'où le titre du film) sa vie d'écrivain raté tout juste agrémentée par une lolita russe pas si idiote qu'elle en a l'air..."Bonjour, balance Dupontel à Dujardin, je suis votre cancer. Je me suis dit que ça serait pas mal de faire un petit peu connaissance"... Cela rappelle un peu le fameux "Jack le squatter" de Jean-François Bizot lorsqu'il évoquait sa maladie et la mauvaise humeur dans laquelle il mettait la Camarde dés qu'il préférait en rire.

 Dujardin en tout cas n'apprécie pas trop la visite de Dupontel, il s'énerve: "Parlez moi poliment, lui rétorque son infâme visiteur, ou sinon je vous file un pancréas"...  A un moment, on se dit que le courant pourrait passer entre ces deux là... Seulement voilà, il y a la bonne...  "Les femmes, ça voit des choses...", tremblotte l'étonnante Anne Alvaro en première héroïne véritablement pure du cinéma de Blier (exceptée la parenthèse Anouk Grinberg) . Comme est elle secrètement amoureuse de Dujardin, elle le repère, le pourvoyeur de métastases, alors que normalement il est seulement censé se matérialiser aux yeux du malade. Et elle le repère avec d'autant plus d'acuité, la valeureuse servante, qu'elle se retrouve elle-même confrontée à son propre cancer en la personne de l'impayable Myriam Boyer dont il faudra impérativement se souvenir lors des prochains Césars.

Derrière la farce noire, il y a beaucoup d'élégance dans cette façon de broder sur les mauvaises nouvelles de la vie. Lovée dans des décors naturels, la mise en scène ne perd rien en fluidité, et c'est avec délice qu'on retrouve les dialogues savoureux et tordants, ainsi que les fameux regards-caméra qui sont la marque de fabrique du cinéaste. On est également porté par la partition musicale à laquelle contribue un Eddy Louiss très en forme, ainsi que Lester Bowie et, au final, Nina Simone dans sa reprise de "Ne me quitte pas"...

Parfois, ça part un peu en free-style, notamment lorsque Blier nous ressort un personnage d'ado déjà vu dans "Préparez vos mouchoirs" ou bien quand il a recours à une pirouette un peu factice pour finir son film. Mais ce n'est là que peccadille en comparaison du brio de l'interprétation et de la vigueur d'un propos pleinement mature qui  donne crânement le dernier mot à la force des sentiments. De quoi nous rafraîchir autant que ces drôles de glaçons qui tintent tout au long du film.

 "Le Bruit des glaçons", de Bertrand Blier (sortie en salles le 25 août)