C'est une chose étrange à la fin que le monde
Le titre, déjà, est une perle... "C'est une chose étrange à la fin que le monde" est extrait d'un poème de Louis Aragon. On l'imagine aux anges, Jean d'Ormesson, à la lecture de ce vers, surtout lorsque le poète poursuit ainsi : "C'est une chose, au fond, que je ne puis comprendre, cette peur de mourir que les gens ont chez eux, comme si ce n'était pas assez merveilleux que le ciel, un moment, nous ait paru si tendre"... Il ne dit pas autre chose, Jean d'Ormesson, dans son nouveau songe d'automne : le bonheur de vivre, ou d'avoir vécu, malgré cette équation aux redoutables inconnues dont nous bombardent incessamment nos propres lendemains, surtout lorsque le temps file à toute allure.
Plus qu'un roman, un essai ou une méditation, "C'est une chose étrange à la fin que le monde" est donc d'abord une sorte d'exorcisme. Prenant prétexte d'un questionnement soudain, un jour d'été sur une côte méditerranéenne, l'académicien aux 85 printemps nous offre un "meaning of life" tout en déliés et en enrobés, interrogeant l'Histoire, la mort, l'origine du monde, l'infini, jusqu'à se coltiner l'éternelle question qui hante jusqu'à plus soif tout agnostique qui se respecte : et Dieu dans tout ça ? Vaste programme, dénoué avec cet art de la pirouette dans laquelle excelle l'auteur lorsqu'il lâche "Je crois à Dieu parce que j'en doute"...
Et puisqu' il n'en est pas à une audace près, Jean d'Ormesson va même jusqu'à se mettre à la place de ce Dieu qu'il appelle "Le Vieux"... S'ensuit ce que l'auteur appelle délicieusement "une sorte de Café du Commerce de la cosmologie et de l'histoire du monde" qui convoque tour à tour Homère, Héraclite, Parménide, Newton, Darwin, Einstein, avec en parallèle le regard amusé du "Vieux" : "Ah ! Les malins ! Comme ils savent mettre en scène la pièce que j'ai écrite ! Et le pire est qu'il leur arrive de siffler l'auteur. Il y en a même pour prétendre que l'auteur n'existe pas et que la pièce s'est écrite toute seule"...
Pour le reste, on trouvera encore une fois magnifiquement surannées toutes ces errances "ormessonniennes" qui donnent l'impression que chaque nouveau livre est le frère jumeau du précédent. L'époque donne le tournis, ça "crise" de partout, le mot d'ordre du jour c'est "sauvons nos retraites", et pendant ce temps là Jean d'Ormesson continue à philosopher gaiement, faisant jaillir des aphorismes en bulles, trouvant admirable que les galaxies continuent à se promener avec leurs étoiles par milliards, se moquant de soi-même et des autres, conscient des misères du monde, certes, et en même temps convaincu qu'il y aura toujours dans le genre humain un élan vers la beauté et une soif d'espérance... On n'est pas certain qu'une telle prose nous aide réellement à décrypter ce qui nous environne, mais il est impossible de nier le bonheur de lecture qu'elle procure... jusqu'à trouver, effectivement, et avec un sentiment d'abandon ô combien délectable, que "c'est une chose étrange à la fin " qu'un livre de Jean d'Ormesson...
"C'est une chose étrange à la fin que le monde", de Jean d'Ormesson (Editions Robert Laffont) Coup de projecteur avec l'auteur, ce jeudi 9 septembre, à 8h30, 11h30 et 16h30