Samedi 9 octobre 2010 par Ralph Gambihler

Where were you on january 8th ?

Il n'avait que 25 ans lorsqu'on a découvert au théâtre de la Bastille "Dance on Glasses", l'une de ses premières pièces..."Avez vous peur lorsque vous dansez sur des verres ?", demandait l'un des protagonistes à sa disciple, séparé de lui par une table de quatre mètres de long...

Il y eut ensuite "Amid the Clouds", deux Iraniens sur la route de l'exil, échouant à Sangatte... Derrière eux, le bruit de la mer, avec en point d'orgue ce personnage de femme nomade donnant naissance à son fils dans une étendue d'eau. On se souvient aussi de "Secret Experiences"... Là encore, une longue table de bois avec, en écho, le récit de quatre générations d'une même famille, de 1900 à 2007... Il a aujourd'hui 32 ans, Amir Reza Koohestani, et c'est le prestigieux théâtre de la Colline qui accueille à présent cet Iranien prodige avec   "Where were you on january 8th?" (Où étiez-vous le 8 janvier ?), nouveau temps fort d'une dramaturgie à mains nues qui continue à nous hypnotiser par sa sensualité, sa poésie et aussi par ce qu'elle nous dit, en sourdine, de l'Iran contemporain.

Dans cette nouvelle pièce, six garçons et filles s'expriment par le truchement d'un téléphone portable.  Leur langage est parfois codé, comme s'ils se sentaient surveillés... Leurs conversations tournent autour d'un pistolet de soldat qui a disparu lors d'une nuit d'hiver et dont le spectateur découvre au fil du récit les multiples usages -ludique, fantasmatique et aussi dramatique- qui en sont faits. Lorsqu'on l'interroge sur le titre de la pièce, Amir Reza Koohestani répond qu'en Iran, aujourd'hui, il y a beaucoup de questions sans réponse : "Où est passé mon vote?" , par exemple... Et il ajoute que même les questions les plus simples, parfois, sont laissées sans réponse.

De rendez-vous à la sauvette en malentendus divers et variés, les jeunes gens de la pièce n'arrêtent pas ainsi de se cogner à des murs où semble résonner l'insidieuse violence qui gangrène la société iranienne. Vissés à leur mobile, il y a de la distance entre eux, sur le plateau, et quand il leur arrive de s'effleurer, ils ne se voient même pas... L'un d'eux lâche la phrase qui résume tout : "Nous dormons pour atteindre un lendemain. Aujourd'hui, la meilleure chose à faire est de fermer les yeux"...

On aurait nous aussi, parfois, envie de fermer les yeux pour se laisser encore plus envahir par la beauté de cette langue farsi telle qu'elle nous est offerte sur le plateau. Ces voix pleines de douceur et de tension retenue qui se mélangent lorsque finit une conversation et que deux autres personnages prennent le relais téléphonique procurent un sentiment de grâce qui frappe par sa musicalité. C'est comme une mélopée, une douce symphonie, et lorsqu'on rouvre les yeux, c'est la beauté des comédiens qui nous émeut.

La beauté des comédiennes, surtout, avec leur voile clair qui transforme encore d'avantage le théâtre de Amir Reza Koohestani en rituel, avec en bonus ces objets épars sur le plateau (un film débobiné, un saut rempli de sang...) et puis aussi les intermèdes vidéos qui donnent à l'intrigue policière quelque chose d'encore plus étrange... Aux dernières nouvelles, le jeune dramaturge iranien est bloqué à Téhéran par ses obligations militaires... Certainement au fait de sa réputation grandissante à l'étranger, le régime des Ayatollahs n'ose pas encore lui faire trop de misères, et Koohestani reste lui-même assez prudent dans ses propos et dans son travail. Cela rend encore plus vénéneux son art de la métaphore et de la suggestion, comme un magnifique pied-de-nez à ceux qui, dans son pays, entendent faire régner l'ère du soupçon.

"Where were you on january 8h ?", d'Amir Reza Koohestani, au théâtre de la Colline à Paris jusqu'au 17 octobre ,