Suivront mille ans de calme
Tout juste inauguré pour le mariage de Marie-Antoinette, l'Opéra Royal de Versailles accueille cette semaine de drôles de révolutionnaires sous la direction d'Angelin Preljocaj... Les danseurs du Bolchoï ont ainsi pris possession du magnifique écrin recroquevillé sur l'aile gauche du château, mais qu'on ne se méprenne pas ! La célèbre troupe russe ne vient pas nous rejouer la prise du Palais d'Hiver. Laurent Garnier, DJ en chef et expert en refroidissements électros, est également de la partie, mais il a aussi l'élégance de faire une petite place à Beethoven et à son illustre "Sonate au clair de lune"...
Preljocaj lui-même n'est surtout pas là, nous dit-il, pour faire sauter la baraque. La preuve, son spectacle, point d'orgue chorégraphique de la saison France-Russie, a pour titre: " Un calme trompeur, en vérité, à l'image de cette lecture très personnelle de l'Apocalypse de St-Jean qui est au coeur du spectacle: des anges se mettent à saigner, des chaînes tombent du ciel, des danseuses en sous-vêtement chair se débattent sous des toiles en cellophane... S'aimer, ou tenter de s'aimer, chez Preljocaj, c'est se cogner aux murs, et quand on danse, c'est avec des livres qui vous bâillonnent la bouche ou alors la tête enrubannée dans les drapeaux nationaux que les danseurs russes et français, au final, vont laver à grande eau, comme s'il fallait purifier tous ces tableaux de transe et d'acier qui ont défilé sous nos yeux avant l'apparition de l'agneau divin.
Quelques moments de douceur viennent, en même temps, nous rappeler que St Jean est aussi l'auteur d'un évangile moins belliqueux, mais la marque Preljocaj est bien présente: modernité assumée, ustensiles en tous genres, visions dantesques et sexuées qui ont presque valeur de dépucelage lorsqu'il s'agit, pour les danseurs du Bolchoï, d'abandonner tout académisme au nom de l'improvisation et de la mixité chorégraphique avec un certain avant-gardisme made in France... Alors oui, même si au départ il fallait rassurer un public qui ne vient pas de Belleville, il y a tout de même bien un parfum de Révolution au château... La France comme la Russie, historiquement parlant, en savent quelque chose, et Versailles pourrait presque trembler sur ses fondations à se retrouver ainsi réverbérée comme la nouvelle Babylone à qui les prophètes d'antan promettaient le destin de Sodome et Gomorrhe...
"Suivront mille ans de calme", d'Angelin Preljocaj (crédit photo: Jean-Claude Carbone), à l'Opéra Royal du Château de Versailles jusqu'au 30 décembre. Coup de projecteur avec le chorégraphe, ce mercredi 29 décembre, à 8h30, 11H30 et 16h30