Dimanche 20 février 2011 par Ralph Gambihler

A Fable

Un contrebassiste israélien et une chanteuse coréenne nous avaient déjà mis la puce à l'oreille : depuis quelques années, le jazz se revitalise dans des contrées qui semblaient hermétiques à la moindre note bleue. Espiègle géographie qui, après Avishai Cohen et Youn Sun Nah (et quelques quinze ans également après Bojan Z), s'en va donc dénicher dans les confins du Caucase un elfe aux allures de rocker qu'on a déjà envie d'appeler "Maestro" alors qu'il a à peine 23 ans. Mozart est Arménien. Il s'appelle Tigran Hamasyan.

A vrai dire, sa fougue, son absence de complexes et sa félinité pianistique ne sont pas un scoop pour nous : en trio avec les frères Moutin, et un an après avoir reçu des mains d'Herbie Hancock le 1er prix du Thelonious Monk Institute, Tigran Hamasyan subjugue déjà les fans de la radio à  l'Olympia, en décembre 2007, lors de la traditionnelle soirée "You & The Night & The Music". On ne le lâchera plus, quitte à avoir un peu de mal à le suivre, en 2009, lorsque le prodige d'Erevan signe "Red Hail", album-ovni aux effluves néo-métal dont on parvient pourtant à déguster, sans se brûler, l'incandescent et lyrique "Love Song", consacré  comme le meilleur morceau passé sur TSFJAZZ cette année là.

Avec "A Fable", gageons que ce ne sera pas qu'un seul titre qui passera à la postérité. Le voici seul, face à son volcan de piano. Pas tout à fait seul, en fait, car Tigran chante les notes, comme Keith Jarrett, et ça rompt la solitude. Il sifflote, aussi, de temps en temps. Il doit y avoir, en outre, un ou deux synthés qui traînent discrètement dans le coin tandis que le coproducteur de l'album, l'ingénieur du son Nate Wood, ajoute quelques tapotements de son cru sur le très brésilianisant "Carnaval"...

Et puis il y a tous ces poètes et ces philosophes arméniens dont le jeune pianiste s'inspire ("Longing"), hasardant une comptine façon boîte à musique ("Rain Shadow"), écumant dans les 40èmes rugissants ("What The Waves Brought"), culminant dans un ostinato vertigineux ("Samsara", sommet du disque). On adore aussi "Kakavik" et cette façon d'emballer la gamme, "The Legend of the Moon" et son refrain faussement statique, "A Fable" et son époustouflante palette rythmique sans oublier le poignant  "Memory That Become A Dream", dont le titre résume tout l'esprit de l'album.

Un standard réharmonisé en mode mineur pointe enfin le bout de son nez, "Someday My Prince Will Come", popularisé par Miles Davis... C'est sublimement assombri par rapport à la version qu'on connait, avec des notes plongées dans un écrin de mélancolie pure. On dirait une chanson arménienne.

"A Fable", de Tigran Hamasyan (Universal) . Journée spéciale sur TSFJAZZ le lundi 28 février.