Jeudi 12 mai 2011 par Ralph Gambihler

Mademoiselle Julie/Créanciers

Gardien du temple, Christian Schiaretti ? Chiche ! En ces temps de maelstroms scéniques où ça va un peu dans tous les sens, où l'on emprunte divers textes à droite et à gauche pour éventuellement pallier un manque d'inspiration personnelle et où la soif de vertiges donne parfois un peu trop la prime au foutraque, il n'est pas anodin d'applaudir sincèrement un metteur en scène qui entend "maintenir un rapport systématique au répertoire", surtout lorsqu'on a à l'esprit que c'est le même Christian Schiaretti qui a succédé à un certain Jean Vilar à la tête du TNP, le Théâtre National Populaire implanté à Villeurbanne.

Chiche pour Strindberg, donc... Le Suédois a peut-être moins d'aura que son contemporain norvégien, Henrik Ibsen, mais il excelle avec autant d'allant dans l'intensité dramatique, la violence verbale et la capacité de créer des climats d'autant plus étouffants et prenants qu'ils sont formidablement concentrés dans le temps et l'espace... Sur la scène de la Colline, Christian Schiaretti s'est emparé de deux pièces du dramaturge qui ne comportent chacune qu'un seul acte : "Mademoiselle Julie" et "Créanciers". C'est monté comme du Hitchcock, interprété avec force et originalité, et joliment scénographié.

La "Mademoiselle Julie" de Schiaretti n'a rien à voir en tout cas avec la garce que Niels Arestrup avait été amené à gifler autrefois, en pleines répétitions, quand sa partenaire n'était autre qu'Isabelle Adjani. Le personnage, ici, est étrangement désexualisé, dans une trouble et magnifique robe vert-amande qui suggère surtout les affres, la névrose et les égarements de la fille d'aristo cherchant tout sauf l'encanaillement dans les bras de son valet. Clémentine Verdier joue Julie comme un animal blessé. Pari gagné ! Son partenaire, Wladimir Yordanoff, est plus âgé que le rôle.

Option audacieuse mais très pertinente dans la volonté de rééquilibrer guerre des classes et guerre des sexes alors que les feux de la Saint-Jean dessinent en arrière-plan un paysage rouge-sang qui embrase peu à peu l'atmosphère. La 2ème pièce du diptyque, "Créanciers", hisse le vice à un étage supérieur. On y retrouve Wladimir Yordanoff en sournois venu détruire le couple formé par son ex-femme et son nouvel époux un peu trop malingre, un peu trop fragile... Clara Simpson, qui joue Tekla avec une vitalité débordante, porte une robe cette fois-ci rouge-coquelicot alors que le sang semble à priori couler moins à flots.

Faux semblants en vérité tant l'issue de la pièce est d'une cruauté sans nom. On a parlé des robes, mais il faudrait aussi dire quelques mots sur les voix, les timbres, qui donnent aussi bien à entendre que les personnages à quel point, ici, chacun est le créancier de l'autre. Dans le rôle du nouveau mari, Christophe Malto s'impose à cet égard comme un instrumentiste inégalable... jusqu'à la dissonance fatale.

"Mademoiselle Julie" et "Créanciers", d'August Strindberg, mis en scène par Christian Schiaretti au théâtre de la Colline, à Paris, jusqu'au 11 juin. Coup de projecteur avec le metteur en scène, sur TsfJazz, jeudi 19 mai (8h30, 11h30, 16h30)