Vengeances
Cette fille ivre-morte mais surtout ivre de haine qu'il ramasse un matin dans le métro, c'est une grenade. Il ne savait pas qu'elle était maquée avec son fils qui s'est fait sauter le caisson. Il ne savait pas, surtout, à quel point il avait été mauvais père. Elle va lui faire payer cher l'addition, la fille ivre-morte et ivre de haine. Elle va aussi un peu l'allumer, tout en faisant disjoncter son meilleur ami, avant d'exploser en vol, et sans forcément avoir consommé toutes ces "vengeances" incertaines qui ponctuent le canevas dissonant et à bout portant du 18ème roman de Philippe Djian.
Aussi cash et imparable que son titre (C'est la marque de fabrique, on le sait, de l'auteur de "Frictions", "Impuretés", "Impardonnables" et "Incidences"), ce nouvel opus donne encore une fois la part belle à ces personnages de faux matures infestés par la vacuité de leur confort personnel. A 45 ans, le narrateur, Marc, artiste-plasticien dopé à l'alcool et à la poudre, ne peut constater que le gâchis de son existence: "Nos avions, nos voitures, nos maisons, nos produits bio, nos cachemires, nos ordis, notre amour des marques... Un tout petit monde pâle, convenu, étriqué, dérisoire"...
Mais le plus grand crime de cette génération, selon Philippe Djian, c'est ce qu'elle laisse à la génération qui suit... "Les plus atteints étaient les plus jeunes", écrit l'auteur de "37°2"... Combien, parmi ceux-là, de calcinés dés l'entrée dans l'âge adulte ? Combien de dépucelés de toute désinvolture ? Combien d'ivres-morts et d'ivres de haine ? C'est dans un art consommé de l'ellipse et avec une plume qui sait autant broyer du noir que tremper dans l'acide que Philippe Djian conduit ce récit ancré dans l'inexorable.
Aussi lucide et paumé qu'un personnage de Brett Easton Ellis, son narrateur préfère au final sourire du fait qu'il est "si rare, d'une manière générale, de pouvoir rattraper les choses"... Constat pathétique, comme les personnages du livre, mais les vibrations dont l'auteur est coutumier sont plus qu'appréciables dans la torpeur de cette fin de saison littéraire.
"Vengeances", de Philippe Djian (Gallimard) Coup de projecteur avec l'auteur sur TSFJAZZ le lundi 20 juin (8h30, 11h30, 16h30)