Dimanche 28 août 2011 par Ralph Gambihler

Le système Victoria

Dans les grands palaces parisiens où se déploie  "Le Système Victoria", les corps-à-corps sont beaucoup moins "précipités" que dans une certaine suite new-yorkaise 2806, la libido se veut surtout un attribut féminin et le libertinage se revendique clairement de droite... Autant dire que rien, et surtout pas une actualité récente, ne saurait distraire le bonheur de lecture que procure  le nouveau roman d'Eric Reinhardt dont on avait déjà applaudi, il y a quatre ans, le virevoltant et prémonitoire "Cendrillon" (entre deux digressions sur les douceurs de l'automne, il annonçait ce qui allait devenir l'affaire Jérôme Kerviel)...

Le ton, ici, est plus sombre, à la démesure d'une addiction sexuelle à fort ancrage socio-politique dont il nous est dit, dés le départ, qu'elle va très mal finir: Victoria de Winter,  DRH de multinationale ultra-libérale dans son job et ultra-libérée dés qu'elle se retrouve au lit, prend pour amant David Kolski, un directeur de chantier rempli d'idéaux et de scrupules. Entre deux séquences torrides au Concorde-Lafayette ou au Grand Hôtel de l'Opéra, ces deux là s'invectivent sur leurs visions respectives du monde. "Le sexe était du côté des hippies dans les années 70, lui balance t-elle sur le ton de la provocation, il est du côté des DRH dans les années 2000"...

Peu peu, il devient une sorte de  gigolo. Il essaie de résister, y compris en développant une anorgasmie inopinée qui sonne comme un ultime acte de résistance face à l'idéologie des flux tendus. En face, elle s'érige en système, sans remords ni barrières, baptisant son journal intime "compte-rendu de réunion", consommant les amants comme on ferme des usines. Elle est à la fois toujours en mouvement -le grand mouvement de la mondialisation-et en haut de la pyramide, alors que lui végète au pied d'une infernale tour que des promoteurs obsédés de rentabilité lui demandent de construire dans des délais records, car "c'est la vitesse la vérité de notre monde, et pas les situations locales qu'elle permet aux puissants de survoler, de traverser ou d'entrapercevoir".

Construit dans le registre de l'implacable, stylé à la virgule près, nourri d'accents balzaciens et de roman noir américain, "Le Système Victoria" ne néglige pas non plus quelques poignants seconds rôles, à l'image de l'épouse faussement terre-à-terre du protagoniste masculin.  Tous les ingrédients sont ainsi réunis pour faire de ces "Liaisons dangereuses au temps du CAC 40" (Eric Reinhardt avait d'abord pensé à ce titre)  le coup de maître de la rentrée littéraire.

"Le Système Victoria", d'Eric Reinhardt (Editions Stock). Coup de projecteur avec l'auteur, sur TsfJazz, ce mardi 30 août (8h30, 11h30, 16h30)