Le documentaire sur Michel Petrucciani
Ce n'est pas vraiment une surprise. Il faut parfois, comme le cinéaste anglais Michael Radford, être aux antipodes de la note bleue pour en percevoir l'élan vital. Surtout lorsqu'il s'agit de l'élan vital de Michel Petrucciani. Il faut venir là en candide, en non-initié, affronter plein feux le mystère d'un petit bonhomme de 99 centimètres qui, en terme d'espérance de vie, n'a réussi à battre Mozart que d'à peine quelques mois...
Comment ce gars là est-il devenu une légende ? Qu'a-t-il fait à son piano pour donner naissance à "September Second", "Brazilian Like", "Rachid" ? Quel était le secret de sa force et de son génie, lui, l'ange aux os calcinés et aux poumons si fragiles dans l'hiver new-yorkais? Le secret, c'est peut-être que ce type était dans l'accélération permanente comme pour mieux conjurer l'infernale horloge de la maladie. Petrucciani dormait peu. Il n'avait jamais le temps.
Michael Radford non plus. Le docu va très vite, avec en arrière-plan une horloge qui égrène les heures et des témoins que le réalisateur ne prend pas le temps d'identifier. C'est ce qu'ils disent qui importe et non pas qui ils sont. Et puisqu'il faut bien démêler le vrai du faux avec un tchatcheur comme "Pétruche" , c'est le montage qui tranche avec, ici ou là, de tordants rectificatifs qui valent leur pesant de cacahuètes (Il n'était vraiment pas prévenu, Clark Terry, quand il a vu débarquer le gamin de 13 ans pour l'accompagner au piano ?)
Au passage, on s'aperçoit que le jazz n'est pas qu'une histoire d'hommes. Elles l'ont tant aimé, Michel... Il avait d'ailleurs une drôle de manière de les séduire, ses dulcinées... "Tiens, je te présente ma femme !", balance-t-il à Freddie Hubbard, un soir, au Blue Note, alors qu'il vient à peine d'aborder l'une de ses futures conquêtes... La fille d'un chef peau-rouge apporte également son témoignage. Elle est tombée dans les bras du "little boy" en pleine vague hippie alors qu'il venait de débarquer dans la maison californienne de Charles Lloyd, et en plus, il était "généreusement doté"... A l'aide de quelques "ajustements", précise-t-elle, Michel Petrucciani faisait l'amour comme il jouait du piano.
C'est important, cette histoire de l'homme qui aimait les femmes. Toujours cet acharnement obsessionnel à vouloir transcender le handicap, à devenir l'exception plutôt que la bizarrerie, comme le dit son fils, Alexandre Petrucciani. Après, ce n'est pas toujours le top que d'aller trop vite et de vouloir tout expérimenter. Mauvaises rencontres, mauvais démons. Surtout à New-York. C'est toujours pénible, l'arrogance d'un toxico... Pas question, pour autant, de laisser dire, comme pour Charlie Parker, que ce sont d'illicites substances qui auraient donné à Petrucciani ce toucher miraculeux au clavier.
On préfère mille fois la démonstration de son accordeur, Pascal Bertonneau, quand il évoque la morphologie particulière du pianiste et la pointe de vitesse que lui donnait le poids de ses os, avec cette manière inimitable d'aller chercher des solos d'aigus au bout du clavier tout se relevant sans problème tandis que la main droite faisait des étincelles... Comme quoi on y arrive, à la musique de Michel Petrucciani, même si tout cela reste formidablement pétri de pâte humaine... Le regretté Francis Dreyfus, Joe Lovano, Lee Konitz, Aldo Romano, Lionel Belmondo, Jean-Jacques Pussiau, Franck Cassenti... Tous, ils ont le sourire aux lèvres quand ils évoquent le lutin qui jouait comme un géant... Pareil pour la dame du Blue Note qu'on retrouve à la fin du film, juste après le fondu enchaîné sur les pieds dans le sable, et qui dit: "Il avait un don parmi les plus extraordinaires que n'ait jamais reçu un être humain, et que voulait-il ? Marcher le long d'une plage, une femme à ses côtés"...
"Michel Petrucciani", un documentaire de Michael Radford (c'est sorti en salles le 17 août)... On en reparle dans les prochains Lundis du Duc, le 5 septembre à 19h, avec Aldo Romano.