Polisse
Il y a ceux qui rassurent et ceux qui assurent. Maïwenn appartient à la 2ème catégorie. Auréolé d'un prix du Jury au dernier festival de Cannes, son "Polisse" fait partie de ces films qui foncent à tombeau ouvert, sans clignotant, manquant de peu, quelquefois, l'embardée fatale, avant de se redresser in extremis dans un crissement de pneu qui anticipe un nouveau changement de vitesse. Au moins, ça circule... Au final, du cinéma à bras-le-corps, une énergie quasiment animale, une tension permanente qui transcende les quelques accrocs qui surgissent, ici ou là.
On l'aura compris, "Polisse" n'est pas lisse, et c'est en cela que le film est franchement réussi. Bien sûr qu'on pense à Maurice Pialat... "Police", 1985... Entre deux scènes d'interrogatoire particulièrement réalistes, Depardieu se noie dans les yeux de Sophie Marceau. Dialogues en plan séquence, corps chancelants, noirceur urbaine... Maïwenn reprend la même symphonie crépusculaire, sauf qu'ici les stups laissent place à la Brigade de Protection des Mineurs, les mal-aimés de la police nationale. Ce n'est pas chez eux, en effet, qu'on recrutera les Starsky et Hutch de demain : pédophiles, pickpockets, mendiants en culottes courtes... Clientèle sordide, qui vous envahit jusque dans votre vie privée, jusque dans le rapport à vos propres enfants, ou à votre propre mal-être.
L'écorché du groupe, c'est Joey Starr... Nonobstant le tout dernier quart d'heure où son personnage parait presque en bout de course, l'ex-rappeur crève l'écran. A ses côtés, un binôme qui carbure à la nitroglycérine: Karine Viard, Marina Foïs... Tellement prises par leur personnage, les deux comédiennes oublient de cabotiner. On croise également Nicolas Duvauchelle, Sandrine Kiberlain, ainsi que Naidra Ayadi dans une séquence d'anthologie où la beurette-fliquette démontre haut la main qu'une bonne lecture du Coran peut s'avérer aussi implacable que le Code pénal.
Et puis il y a Maïwenn elle-même dans la peau de cette curieuse photographe missionnée par la place Beauvau pour prendre de "jolis" clichés de la BPM... "Tu photographie quoi ?", lui balance Joey Starr, très énervé, puis ensuite très amoureux, surtout quand la miss se décrêpe le chignon et enlève ses lunettes. C'est à ce moment là, effectivement, débarrassée de toute distanciation, et à la faveur d'une scène de discothèque génialement gonflée, que la réalisatrice semble se fondre complètement dans son sujet.
On est moins friand, à contrario, de certaines facilités censées détendre l'atmosphère (l'inévitable "Pictionnary", le brutal changement de ton après la descente dans le camp gitan)... Maïwenn n'est pas non plus très à son aise dans la conclusion de deux ou trois séquences qu'elle surligne un peu laborieusement, notamment sur le plan musical, et il n'est pas certain que la "chute" finale soit réellement indispensable. C'est quand elle ne "termine" pas ses scènes, finalement, ou quand elle se laisse "déborder", qu'elle est la meilleure... Ce petit black, par exemple, qui hurle ses larmes lorsqu'on le sépare de sa mère, il perfore tout: le cadre, la durée du plan, la bande-son, la tentation du morceau de bravoure... Il y a là quelque chose d'infiniment sauvage qui est la marque d'une grande cinéaste.
"Polisse", de Maïwenn (sortie en salles ce 19 octobre) Coup de projecteur sur TSFJAZZ (signé Thierry Lebon) avec Karin Viard et Marina Foïs (7h30, 11h30, 16h30)