Le nouveau Dictionnaire du Jazz
Ils ont entre 24 et 29 ans, et ils sont déjà dans le dico ! C'est dire à quel point, en intégrant notamment dans ses pages Anne Paceo, Esperanza Spalding, Tigran Hamasyan ou encore Ambrose Akinmusire, le Nouveau Dictionnaire du Jazz confirme avec brio sa savoureuse ductilité, pour reprendre l'un des mots préférés de Philippe Carles, l'un des trois maîtres d'oeuvre de ce vaste chantier (au côté d'André Clergeat et Jean-Louis Comolli) inauguré en 1988 et qui compte désormais 69 contributeurs pour 3200 notices contre 2800 dans la précédente édition.
Rappelons que la ductilité (c'est un autre dico qui vient ici à notre rescousse) désigne la capacité d'un matériau à se déformer plastiquement sans se rompre. Ainsi en va-t-il du jazz, musique que certains ont pour ainsi dire enterrée dés ses débuts mais qui ne meurt jamais tant s'affirment, chaque année, de nouvelles voix et de nouveaux visages dont TsfJazz se fait irréductiblement l'écho sans jamais prétendre, au demeurant, à une exhaustivité que ne revendiquent pas non plus les auteurs de ce fameux dictionnaire de la note bleue.
A vrai dire, les quelques absences que l'on peut éventuellement regretter (Avishaï Cohen, Gretchen Parlato, Eliane Elias mais aussi Christian Scott et David Krakauer...) sont largement compensées par l'ardeur -indissociable de la rigueur- avec laquelle nos chers nomenclateurs célèbrent les explorateurs les plus récents et les plus affirmés, à l'image du pianiste Vijay Iyer dont, dixit Philippe Carles, le talent "a éclairé le 21ème siècle naissant comme un feu d'artifice dans une jazzosphère percluse de routines et de phénomènes de mode"...
On l'aura compris : l'ouvrage vaut également pour ses partis pris, qu'on les partage ou pas, tant il est vrai que la subjectivité, souvent, donne du relief à l'érudition... Nos chanteuses d'aujourd'hui, par exemple, ne sont pas toutes logées à la même enseigne: Melody Gardot, Youn Sun Nah et Stacey Kent sont reçues avec mention, contrairement à Diana Krall et Norah Jones... Pour remonter à une période plus ancienne, les notices consacrées à Dave Brubeck, Ramsey Lewis ou encore à Louis Prima et à Terence Blanchard ("Une sonorité propre, calibrée et maîtrisée, avec des solennités dignes du Conservatoire") laissent quelque peu rêveur alors que Wynton Marsalis (on craignait le pire...) s'en sort finalement avec les honneurs.
Pour le reste, on constatera une féconde absence d'oeillères pour aborder le jazz contemporain dans ce qu'il peut avoir, parfois, de plus transversal... Un jazz, en somme, qui ne se ferme pas sur lui-même, ce qui en garantit tout l'avenir... Et puis il y a ce bonheur d'écriture qu'on retrouve tout au long de ces pages, à commencer par les textes fondateurs de la première édition: le texte de André Hodeir sur Charlie Parker ("L'homme de jazz, marginal par excellence, né dans le peuple et rejeté par lui"), celui de Philippe Baudoin sur "L'elfe Garner qui a enchanté plusieurs générations d'amateurs", les formules de Jean-Louis Chautemps ("Là où les musiciens jouent, Eric Dolphy est joué", écrit-il) ainsi que la notice-fleuve de Francis Marmande sur Ornette Coleman... Autant de joyaux auxquels fait également fait écho le formidable hymne à John Coltrane sous la plume du regretté Frank Ténot, sans qui TsfJazz ne
"Le Nouveau Dictionnaire du Jazz" (Editions Robert Laffont)... A suivre, dans les Lundis du Duc, sur TsfJazz, ce 28 novembre à partir de 19h, en direct du Duc des Lombards, avec pour invités Philippe Carles, André Clergeat et Stéphane Ollivier