Mercredi 28 mars 2012 par Ralph Gambihler

Zelig

Septembre 1983. On a 16 ans et se prend "Zelig" en pleine figure. On n'avait jamais vu de film de Woody Allen auparavant et voilà que surgit cet ovni  en noir et blanc, ce vrai-faux docu rythmé façon jazz et qui nous fait pleurer de rire, ce miracle d'intelligence, de mise en scène et d'interprétation qui, biométriquement parlant, va s'inscrire en lettres d'or sur notre carte d'identité cinéphilique.

Presque trente ans ont passé et on est un peu étonné que "Zelig" soit à ce point tombé dans l'oubli. Il est vrai que le film s'intercale dans la période la plus géniale de Woody Allen et qu'il a peut-être eu moins de notoriété immédiate, à l'époque, que  "Manhattan", "La Rose pourpre du Caire" ou encore "Hannah et ses soeurs"... C'était aussi le temps où le binoclard new-yorkais, tel le caméléon de "Zelig",  n'arrêtait pas de surprendre de film en film, aux antipodes de la paresse et du ressassement qui, désormais, lui tiennent lieu de vitesse de croisière malgré l'éphémère sursaut "Vicky Cristina Barcelona" il y a quelques années.

On sait à présent que "Zelig" aura été le plus expérimental des films de Woody Allen. 30 ans avant que le tout-Hollywood ne s'extasie sur les exploits techniques de "The Artist", le cinéaste incruste ses personnages dans des vieilles archives de l'entre-deux-guerres en créant l'illusion parfaite. Il doublonne l'exploit, qui plus est, en insérant ses fausses bandes d'actualité dans un format documentaire digne des années 70 avec tous les défauts du genre. On y croit d'autant plus qu'apparaissent, dans leur propre rôle, les sommités de l'intelligentisa américaine de l'époque.

Et puis il y a ce fameux Léonard Zelig auquel Woody prête son irrésistible physionomie et qui reste, après coup, l'un des personnages les plus fascinants de son oeuvre. strong>Zelig veut être aimé. Brimé dans son être, il décroche le don de se transformer physiquement et intellectuellement au gré des milieux qu'il fréquente: Noir parmi les Noirs, mais aussi nazi dés qu'il croise une bande d'hitlériens, notre homme se fond dans la masse pour le meilleur et pour le pire. Il parvient, pourtant, à retrouver sa vraie personnalité au contact de Mia Farrow dans le rôle d'une jolie doctoresse, mais au moment où tout semble s'arranger Zélig est rattrapé par son passé, à l'image de cette grosse femme noire de Harlem qui veut lui faire un procès parce qu'il s'est marié autrefois avec elle en se faisant passer pour le frère de Duke Ellington !

Ce n'est pas le seul moment du film où l'on est plié en quatre. Évidemment travaillé par la question-phare de l'univers "allenien" qui est celle de l'identité juive, "Zelig" est d'abord un manifeste d'humour juif:  "Enfant, Leonard Zelig est fréquemment malmené par les antisémites. Ses parents, qui ne prennent jamais son parti, se rangent du côté des antisémites". Autre séquence d'anthologie un peu plus loin dans le récit : "J’ai douze ans.  Je demande à un rabbin le sens de la vie. Il m’explique le sens de la vie, mais en hébreu. Je ne parle pas hébreu. Alors il essaie de me vendre des cours d’hébreu à 600 dollars"... Sacré Zelig, décidément ! Lui, au moins, contrairement à son géniteur, il ne vieillira jamais...

"Zelig" (1983), de Woody Allen. Reprise en salles le 28 mars. Coup de projecteur (7h30, 11h30, 16h30) sur TsfJazz, ce vendredi 30 mars, avec la journaliste et cinéaste Florence Colombani, auteur de "Woody Allen" aux éditions des Cahiers du Cinéma. .