Samedi 30 juin 2012 par Ralph Gambihler

Holy Motors

Elle en a de la chance, la génération qui va faire de "Holy Motors" son film-culte.  Pour moi, hélas, c'est fini. Trop vieux. Mais eux, les plus jeunes, je les entends déjà broder sur Kylie Minogue ressuscitant Jacques Demy dans les ruines de la Samaritaine. Je les imagine podcaster à donf' la séquence danse nuptiale en ombres numériques ou encore la "chanson à textes" de Gérard Manset à la fin du film.

Ceci étant, il faut un peu la comprendre, cette génération "Holy Motors"... Elle n'a pas eu 17 ans devant "Boy Meets Girl". Elle n'a pas eu 19 ans lorsque Denis Lavant courait en se tordant le ventre dans "Mauvais Sang". C'était David Bowie et non pas Manset qu'on écoutait à l'époque, Juliette Binoche était coiffée à la Louise Brooks et Leos Carax n'en n'était pas encore réduit à faire des phrases-mausolée à la Godard en conférence de presse du genre "Le cinéma est comme une île, une belle île avec un grand cimetière"...

Ils vont adorer cette phrase, les " holy motorisés" de l'an 2012 ! Ils vont se gargariser de ce film perdu dans l'océan de ses limbes et qui ne raconte rien, sinon qu'il n'y a plus rien à raconter-même pas des histoires d'amour- et que le cinéma est mort et que c'est bien dommage parce qu'être acteur est un métier formidable. C'est Denis Lavant, aussi mal vieilli que nous, qui endosse ce message en se mettant dans la peau d'un mystérieux Monsieur Oscar convoyé en limousine et qui lui-même se transforme, au gré de ses pérégrinations, en banquier, en tueur, en mendiante ou alors en énergumène underground tel qu'on l'avait déjà entraperçu il y a quelques années dans le génial film à sketches "Tokyo !", ultime effluve de ce que l'univers de Leos Carax avait encore de radioactif.

Qu'en reste-t-il, aujourd'hui ? Une compil' un peu nawak, des saynètes sans queue ni tête, un semblant d'acide moisi avant l'heure (les banquiers butés au Fouquet's, les tombes au Père Lachaise sur lesquelles est inscrit "visitez mon site" ...), une autocélébration qu'aucune fièvre lyrique ne transcende et qu'un ennui incommensurable vient peu à peu surplomber... Dans "Holy Motors", Leos Carax s'offre pour ainsi un enterrement de première classe dont on pourra apprécier ici ou là quelques belles couronnes mortuaires mais dont le seul "moteur", en fin de compte, ne vrombit pas plus loin que dans l'art de foncer à tombeau ouvert.

"Holy Motors", de Leos Carax (Sortie le 4 juillet)