Christian Scott aTunde Adjuah
Ce disque n'aurait jamais du sortir en juin. Exténués par la saison qui venait de s'achever, assoiffés de vacances et de musiques désaltérantes, nous avions un peu squeezé à la radio le monstrueux et double album de Christian Scott. Trop dense, l'enrobé en 23 morceaux ! Trop sérieux et un poil mégalo également, le nouveau trip identitaire du trompettiste rebaptisé Christian aTunde Adjuah et affublé du costume traditionnel des Indiens Noirs de la Nouvelle-Orléans ! En mal de dérision, on se serait presque réconcilié, pour l'occasion, avec la tocade d'Armstrong roi des Zoulous distribuant des noix de coco à la foule néo-orléanaise en l'an 49.
Il aura donc fallu un peu de repos, un certain nombre de huis clos en réécoute arrachés à la nuit et peut-être aussi quelques états de soul un peu vagabonds pour prendre toute la démesure de ce CD au carré à la fois furieux, bouillant et fulminant de ballades pleines de fièvre et de tendresse enragée... Deux ans après le coup de maître de "Yesterday You Said Tomorrow", Christian Scott en étire toute la puissance, démultipliant sa fameuse stretch music au coeur mais aussi dans les faubourgs de la note bleue, avec toujours cette sonorité politiquement et poétiquement cuivrée qui déferle jusqu'à plus soif.
La Protest Song sans paroles est à nouveau au rendez-vous: des femmes pendues au Soudan ("Fatima Aisha Rokero"), le sort des Sdf ( "Vs the kleptocratic union..."), les survivances de l'esclavage ( "Dred Scott"), mais ce n'est pas forcément ce qui retient ici le plus l'attention. Plus fascinante, en revanche, l'évolution musicale du trumpet hero, ses solos acrobatiques à la Freddie Hubbard ("Jihad Joe"), sa gravité dans les aigus ou encore la manière avec laquelle son instrument groove délicieusement sur "Of Fire (Les Filles de la Nouvelle-Orléans)" avant de climatiser près de 11 minutes sur "Danziger". Moins homogène que sur "Yesterday You Said Tomorrow", le son de trompette de Christian Scott n'en reste pas moins définitif, une fois de plus, dés que l'ambiance se fait moins bruyante.
Le très doux "Cara", morceau final du CD 2, semble ainsi faire écho au non moins poignant "Kiel" du premier disque, Christian Scott ayant dédié ses deux titres à sa mère et à son frère jumeau. Limite saturée -c'est sa marque de fabrique-la guitare électrique de Matthew Stevens fait encore joliment écho aux morceaux de bravoure du trompettiste, notamment dans "Tray Von" (Mon préféré, dans le top 23 !) tandis qu'à la batterie, le toujours impeccable Jamire Williams assure sans arrogance. Il faut également mentionner les claviers de Lawrence Fields qui donnent au 2eme disque une tonalité plus mélancolique ("Bartlett"), ne serait-ce qu'à travers de sublimes interludes qui sont comme autant de portes d'entrées pour ce disque si impressionnant de prime abord.
strong>"Christian Scott aTunde Adjuah", Christian Scott (Universal Jazz)