Jeudi 23 août 2012 par Ralph Gambihler

Rien ne se passe comme prévu

Dans "Hhhh", son magistral premier roman paru en 2010, Laurent Binet se pose beaucoup de questions sur la manière de donner chair à l'assassinat d'Heydrich à Prague, en 1942, mais son obsession à vouloir sonner juste finit par payer, esquivant au passage tous les chausse-trapes du genre. Avec François Hollande, c'est plus compliqué.

Il s'agit, ici, de suivre le candidat-futur-président en campagne et d'en faire littérature, puisque c'est par principe, lorsqu'on est écrivain de profession, le seul moyen de faire remonter quelque chose de substantiel à la surface. Mais comment faire remonter à la surface ce qui ne se laisse même pas plonger? "Rien ne se passe comme prévu", effectivement, sauf que la citation, prêtée au "grand homme" de Tulle à-propos des mésaventures de DSK, s'applique surtout à l'auteur pourchassant son sujet, lequel ne cesse de lui échapper et de se dérober. François Hollande est aussi accessible qu'impénétrable. Du genre à ne pas moufter lorsqu'on l'asperge de farine et qu'il en ressort indemne avec sa mine de Droopy sans avoir concédé une seule miette au ridicule.

Laurent Binet le traque pourtant de tous les côtés,  le candidat-futur président. Il se la joue courtisan sans vraiment y croire, s'énerve, même, à être tenté par le vote Mélenchon, comme pour se donner un peu de consistance dans le brouillard ambiant. Peine perdue... Le soir du 6 mai, l'auteur de "Hhhh" manque presque de finir sur le tarmac lorsque l'avion des vainqueurs regagne Paris. Mais il lui reste la dérision, à Laurent Binet, et là, il excelle, même si la puissance de son récit tient déjà, en quelque sorte, à son impuissance à en cerner le personnage principal.

J'adore notamment le passage où, au Conseil général de Corrèze, Hollande épluche des dossiers pour la nomination d'un sous-chef cuisinier dans un collège en expliquant que de son choix dépend le sort de toute une famille. "C'est beau comme du Dickens", lâche l'auteur, confronté à sa manière au candidat "normal" et comprenant, peut-être à son insu, que c'est bien cette carapace de normalité qui vous autorise à vous afficher au-dessus du lot.

"Rien ne se passe comme prévu", de Laurent Binet (Editions Grasset)