Dimanche 18 novembre 2012 par Ralph Gambihler

Mon Amérique : 50 portraits de légende

JFK, Marilyn, Sinatra... On croit les connaître par coeur, les icônes de Philippe Labro. On s'inquiète un peu, au départ,  à l'idée qu'il ressasse, ou alors que le texte ne soit qu'un alibi à une iconographie abondante... Mais non ! Dés l'introduction, dés que l'auteur avoue sa fascination pour ces "créateurs de nulle part", ces enfants d'immigrés, ces rebelles qui ont bousculé l'ordre établi; dés qu'il les compare à des mavericks, autrement dit ces  mustangs sauvages "qui déferlent en troupeaux dans les plaines de l'Ouest, se distinguent de la masse et quittent le groupe pour galoper seuls, le long de la butte", on sait qu'on va avoir droit à un magnifique et poignant inventaire, ne serait-ce que parce que l'Amérique de Philippe Labro est d'abord la nôtre.

50 portraits au total. Des héros qui ne l'ont pas toujours été, des enchanteurs qui ont cédé au désenchantement, des ascensions avant la chute. L'auteur n'a jamais autant aimé Mohammed Ali qu'un soir de défaite, Frank Sinatra dans ses rôles de looser à l'écran,  Fred Astaire quand son perfectionnisme devient synonyme d'anxiété. Le "Don't Explain" de Billie Holiday l'émeut mille fois plus que l'exubérance d'une Ella Fitzgerald. Même lorsque Philippe Labro évoque ses écrivains-culte (Faulkner et surtout Hemingway) qui paraissent trôner au plus haut dans son panthéon personnel, ce sont d'abord les failles dans le marbre qui font légende.

"Mon Amérique..." se refuse ainsi à faire romance du pays à la bannière étoilée. Le portrait de Kennedy échappe à l'hagiographie attendue ("On ne couche pas avec une call girl envoyée par Sam Giancana quand on est 43e président du pays le plus puissant du monde"), tandis qu' Al Capone surgit inopinément à la lettre "C", en tant que "premier Parrain d'un monde, à peine souterrain, qui a miné et mine encore" le pays du roi Dollar.

Hommage est également rendu à Edward Hopper, parce que "c'est bien gentil de vouloir chanter l'enchantement de l'Amérique", et que personne n'a peint avec autant de génie  l'ennui américain, l'abandon américain, le néant américain. Et c'est bien cet irrépressible instinct dans l'art de ne pas se laisser bouffer par le néant qui parvient à son tour à "faire Amérique". Ainsi en va-t-il du jeune Louis Armstrong qui, pour échapper au racket, planque pièces et billets contre les parois intérieures de ses joues, ce qui lui déforme le bas du visage et en fera éventuellement un trompettiste de légende. Les 16 ans de  Marlon Brando valent pareillement le détour. La  cloche de la tour  l'obsède dans cette académie militaire du Minnesota où le futur interprète de "L'Equipée Sauvage" est censé apprendre à obéir au doigt et à l'oeil. Une nuit, il grimpe au sommet, décroche le battant qui pèse 70 kilos et  l'enterre 200 mètres plus loin.

Philippe Labro, lui, a 19 ans lorsque Rosa Parks refuse de céder sa place à un Blanc dans un bus de l'Alabama. Il se la coule douce, à l'époque, en Virginie, jeune Français découvrant l'Amérique de ses rêves tout en  s'accommodant parfaitement de la Ségrégation à l'instant même où une humble couturière lui porte les premiers coups..."Tout, dans cette histoire exemplaire, émeut l'adulte conscient que je suis devenu, et humilie le gamin aveugle et impuissant que j'étais"... Ainsi son Amérique finit-elle, pour la plus grande joie du lecteur, par irradier à la première personne du singulier.

Mon Amérique : 50 portraits de légende", par Philippe Labro (Editions La Martinière). L'auteur est l'invité exceptionnel des Lundis du Duc, ce 19 novembre, à 19h, sur TsfJazz, en direct du Duc des Lombards.