Mercredi 16 janvier 2013 par Ralph Gambihler

Nagisa Oshima ou le dernier tango à Tokyo...

Il déteste le vert. Trop fade, comme couleur. De "L'Empire des Sens", évidemment, on se souviendra donc d'abord d'un kimono rouge, du noir autour et de la neige au dehors. C'est en 1976 que Nagisa Oshima nous offre son dernier tango à Tokyo. On est dans les années 30, et un homme et une femme s'embrasent dans une sexualité mortuaire tandis que leur pays, déjà métastasé par les aigreurs belliqueuses, file droit vers la Seconde Guerre mondiale. Un simple plan, martial à souhait, sur l'armée japonaise, suffit au contrechamp politique, et ce contrechamp subjugue tout le reste, à savoir le récit d'une emprise où, d'enlacements en étranglements, une servante défie jusqu'au stade ultime la virilité de son partenaire.

Nagisa Oshima, qui vient de succomber à une pneumonie, aurait pu s'en tenir à cette fournaise de sensualité qu'il filme comme une histoire d'amour tout en usant de l'attirail pornographique. Il faut pourtant le créditer de deux autres sommets cinématographiques qui ont fait de ce Pasolini japonais un immense cinéaste du trouble et de la contestation face à toutes les routines normatives... 1983. "Furyo"... Oshima a déjà la sublime idée d'opposer deux rock-stars, David Bowie et Ruyichi Sakamoto.

Tout semble étrange et irréel dans ce camp de prisonniers de l'an 42 évidé, contrairement à "L'Empire des Sens", de tout contrepoint historique. La guerre est absente, ou plutôt, elle est absorbée par une autre guerre, plus intime, entre le responsable de camp japonais et le prisonnier anglais... On glose beaucoup, à l'époque, sur les thématiques de l'homosexualité et du sado-masochisme dont Nagisa Oshima se serait "libéré", mais "Furyo" va plus loin en mettant en scène un véritable bras de fer psychologique entre deux civilisations sans forcément donner raison à celle qui parait la plus acceptable. Le résultat reste encore, quelques 30 ans plus tard, d'une fulgurante intensité. Et ne parlons pas de la musique...

Comment oublier, enfin, le si bunuelien "Max mon amour"... Charlotte Rampling s'encanaillant avec un chimpanzé, cela en fit ricaner certains, au moment de la sortie du film... Quelle rage, en même temps, dans ce traitement vaudevillesque  de la torpeur bourgeoise saccadé par la clarinette de Michel Portal ! Et ce mari humaniste au plus mauvais sens du terme qui va jusqu'à installer l'animal au coeur de l'appartement familial dans ce qui restera sans doute le triangle amoureux le plus extravagant de l'histoire du 7eme art... «Max, affirmera Nagisa Oshima, symbolise peut-être n’importe quoi qui n’est pas humain, et la vie humaine serait meilleure si nous pouvions accepter les choses non humaines»... Les hantises de Nagisa Oshima vont beaucoup manquer, désormais, à un cinéma qu'il savait à ce point enténébrer.

Nagisa Oshima (31 mars 1932-15 janvier 2013)