Zero Dark Thirty + Argo
"Je devais éviter l'émotion", a déclaré en interview Jessica Chastaing, qui joue la traqueuse d'Oussama Ben Laden dans le nouveau film de Kathryn Bigelow, "Zero Dark Thirty". Mission largement remplie, hélas... Le thriller politique made in America a donc désormais deux facettes: "Argo" et "Zero Dark Thirty". Le film de Ben Affleck , tardivement découvert en salle, est une tuerie. Son absence de temps mort, sa modélisation vintage et surtout son scénario malicieusement décalé par rapport aux entreprises patriotiques du même genre, en font, à juste titre, le favori des prochains Oscar.
Kathryn Bigelow, quant à elle, n'a guère l'esprit à la malice. Style musclé, mise en scène froide et sophistiquée, technicité assumée du récit jusque dans ses longueurs... On n'ignore plus rien, désormais, de la marathonienne abnégation des agents de la CIA face à l'arlésienne Ben Laden, y compris l'inutilité des séances de torture que la réalisatrice filme, là aussi, avec une neutralité qui peut effectivement soulever des interrogations.
Cette neutralité, au bout du compte, est un leurre... En évacuant toute dimension psychologique et en se refusant à expliquer les motivations de l'enquêtrice jouée par Jessica Chastaing (on ignore pareillement la raison pour laquelle la CIA lui file une mission aussi redoutable), la réalisatrice de "Démineurs" nous laisse de marbre face à des personnages qui le sont tout autant. C'est donc une Amérique de marbre, hermétique aux sentiments et aux beaux discours, pragmatique dans sa lutte contre le "mal", qui aura eu
"Argo", du même coup, nous apparaît un peu plus branque, un peu plus humain, et à fortiori un peu moins chauvin... Ce n'est pas non plus dans "Argo" qu'on s'offre un ultime plan sur une "héroïne" en larmes, ajoutant ainsi l'incongru par rapport à tout ce qui a précédé...
"Zero Dark Thirty", de Kathryn Bigelow (Sortie en salles le 23 janvier)