Hitchcock
Le parcours d'Alfred Hitchcock recyclé en psychodrame bourgeois ? Pas sûr que le maître du suspense aurait acquiescé au genre. C'est pourtant bien ce que propose Sacha Gervasi en zoomant sur les problèmes de couple de Sir Alfred en plein tournage de "Psychose". Soudainement déconcentré de ses obsessions pour les jeunes actrices blondes, le réalisateur de "Fenêtre sur Cour" vacille lorsque Alma, sa discrète et fidèle compagne (tant sur le plan matrimonial que professionnel), file un semblant de romance avec un scénariste falot. Le remontage d'une célèbre séquence de douche viendra heureusement cicatriser les vilaines blessures de l'un comme de l'autre.
Dans le registre "private life", on aurait nettement préféré que Sacha Gervasi s'attarde sur le pétage de plomb d'Alfred Hitchcock avec Tippi Hedren sur "Les Oiseaux" et surtout "Pas de printemps pour Marnie"... Le biopic n'en eut été que plus folichon même si, ici ou là, le réalisateur en esquisse les prémisses lorsqu'on voit Hitchcock peloter une photo de Grace Kelly avant de reprocher à Vera Miles son faux bond et sa grossesse inopportune lorsqu'il pensait lui confier le rôle de Kim Novak dans "Vertigo". Mais là encore, on reste dans une mise en forme convenue, laborieuse et formatée pour ménagères de tous âges.
On ne sera guère plus convaincu par l'autre thèse du film qui fait reposer essentiellement l'inspiration d'Hitchcock dans "Psychose" sur la fascination et les hantises que lui aurait inspirés Ed Gein, autrement dit le "vrai" Norman Bates. Les quelques scènes grotesques auquel cet aspect du scénario donne lieu sont un peu en contradiction avec ce que le film développe par ailleurs de manière beaucoup plus pertinente, à savoir que c'est d'abord le défi de mise en scène et sa volonté de sortir des sentiers battus qui motivent Hitchcock lorsqu'il s'attaque à "Psychose".
Il n'hésitera pas pour cela à hypothéquer sa maison tout en se livrant à un savoureux jeu du chat et de la souris avec la Paramount comme avec la censure... C'est là qu'apparaît l'atout coeur du film en la personne de Scarlett Johansson dans le rôle de Janet Leigh. L'interprète de Marion Crane, on le sait, fut un peu l'exception apaisante dans les rapports tourmentés d'Alfred Hitchcock avec ses comédiennes. La fantaisie primait pour une fois sur le glacial avec, au bout du compte, une profonde complicité entre le cinéaste et celle qui, au sortir d'un tournage éprouvant avec Orson Welles ("La Soif du Mal"), ne souhaitait surtout pas se farcir un nouveau tortionnaire. Scarlett Johansson est une délicieuse Janet Leigh. C'est surtout face à sa radieuse blondeur, d'ailleurs, qu'Anthony Hopkins parvient à trouver les accents les plus crédibles en Sir Alfred à visage humain.
"Hitchcock", de Sacha Gervasi (Sortie en salles le 6 février)