Mercredi 24 avril 2013 par Ralph Gambihler

François Furet. Les chemins de la mélancolie

Disparu des radars. Aucun disciple ou presque. Aucun courant, surtout. François Furet n'a pour ainsi dire pas survécu à sa mort, survenue en 1997, lui qui fut pourtant l'un des historiens les plus médiatisés de son temps. Est-il à son tour "rentré au port", pour reprendre une formule dont il usa et abusa au sujet de la Révolution Française, son domaine de prédilection? "Le passé d'une illusion", celle de l'épopée communiste en l'occurrence, à laquelle il consacra son best-seller le plus retentissant, s'est-il à ce point défraîchi au miroir de l'apathie hollandiste et des exaltations mélenchoniennes? Ou alors faut-il que l'introuvable postérité de cet universitaire hâbleur et volontiers querelleur soit mise au passif de notre pauvre 21e siècle désormais orphelin d'historiens ayant des tripes et sachant éclairer notre présent?

Il est vrai que ce fut une spécificité bien hexagonale, cette furia historiographique autour de Danton et Robespierre. On ne pouvait plus, comme Michelet, aimer les deux à la fois. Il fallait choisir son camp.  Côté pile, Furet. Côté face, les historiens communisants comme Matthiez, Soboul, Vovelle et autres Claude Mazauric.... Et ça se guillotinait à l'encre noire, et ça se taxait de révisionniste ou de crétin léniniste, et ça partait en free style d'une révolution à l'autre...   La Terreur ou les Muscadins ? Octobre 17 ou Soljenitsyne ? Mitterrand ou Georges Marchais ? Au final, François Furet fut de ceux qu'on accusa sommairement d'avoir tenté un remix improbable en mettant dans le même panier Staline, Hitler et le Comité de Salut Public.

Voilà pour la caricature. Reste la mélancolie. C'est du moins le joli fil conducteur choisi par Christophe Prochasson dans une biographie qui nous emmène de surprise en surprise. L'image d'un Furet social-libéral (même si le mot n'existait pas encore, à l'époque...) se nuance ainsi d'une tendresse insoupçonnée pour Jean Jaurès. Son "anticommunisme de fer" n'épuise en rien sa soif d'utopie et s'il se réjouit de la chute du Mur de Berlin, c'est pour regretter aussitôt que l'ardeur consumériste ait pris le dessus sur la soif de liberté... François Furet n'a que mépris, par ailleurs, pour les Nouveaux Philosophes façon BHL et il vomit l'opportunisme de François Mitterrand qu'il compare à Thiers, l'assassin de la Commune...

Drôle d'anticoco, tout de même ! Ce qui est moins drôle, c'est la tuberculose. Comme le Sida quelques décennies plus tard, elle fauche toute une génération de jeunes intellectuels au début des années 50. François Furet en réchappe de justesse, parallèlement à sa rupture avec le PCF dont il a été membre en pleine fournaise stalinienne. On sait ensuite où il bifurque, mais de ces années là, de ce "militantisme de tuberculeux" auquel vont également s'agréger quelques drames familiaux, Christophe Prochasson saisit toute la fulgurance. Réactive et féconde, ancrée dans ce que le bonheur peut avoir de plus fugace, proliférant parfois dans l'excès comme pour mieux conjurer les méchants coups de dé du destin, la mélancolie de François Furet ne lui a jamais fait perdre une certaine et belle idée de l'espérance. Il en faudrait plus pour communier avec la totalité de son parcours, mais c'est bien assez pour se souvenir avec respect d'un esprit aussi intègre et incandescent.

François Furet. Les chemins de la mélancolie, de Christophe Prochasson (Stock). Coup de projecteur avec l'auteur, ce jeudi 25 avril, à 12h30, sur TSFJAZZ.