Samedi 4 mai 2013 par Ralph Gambihler

Si tu vas à Rio...

Le Brésil s'est donc dansé, chanté et jazzé dans notre petit hexagone tout au long du siècle dernier... Ses rythmes, sur lesquels s'est adossée une fantasmagorie nimbée de terres vierges, de lianes tropicales et de plages ensoleillées, ont généré d'étonnants transferts entre les deux rives de l'Atlantique avant même que l'Oncle Sam ne fasse rimer samba avec coca-cola. C'est cette épopée qu'Anaïs Fléchet réceptionne et analyse avec fulgurance dans ce qui était au départ une thèse et qui, à l'arrivée, est propice à un beau voyage plein de rebondissements pour tous ceux qui s'efforcent de comprendre, selon la belle formule de l'historienne, comment on écoutait le monde avant les "musiques du monde".

Le titre de l'ouvrage ne fait pourtant pas référence à ce que l'on aime le plus du Brésil. Aussi infect que la Maria de Bahia de Ray Ventura, le Si tu vas à Rio de Dario Moreno (1958) s'inspire mais surtout trahit sans vergogne une chanson originelle qui rendait hommage à une actrice morte noyée (Georges Moustaki fera preuve de beaucoup plus de tact lorsqu'il francisera Aguas de Março)... En pleine mode du "typique", la France travestit, si l'on peut dire, le Brésil dans des sambas qui n'en ont que le nom jusqu'à reproduire, parfois, les préjugés racistes de la 4e République sur fond de perte annoncée de l'Empire. Même Fernandel s'y met !

Il n'en a pas toujours été ainsi. Des salons de la Belle Epoque où la maxixe fait ses premiers pas à la musique savante façon Boeuf sur le Toit, (Darius Milhaud), l'imaginaire brésilien fait déjà l'objet d'emprunts pas toujours très orthodoxes mais où le vulgaire, au moins, n'est pas de mise... La figure du danseur mondain n'a pas encore été éclipsée par celle du latin lover, à l'instar du professeur Duque qui enseigne dans la meilleure société parisienne une danse dont il prend soin de camoufler les origines populaires.

Plus tard, dans les Années Folles, c'est un autre ambassadeur, Villa-Lobos, qui se taille un joli succès en pleine vague exotico-primitiviste, allant même jusqu'à s'inventer des expéditions imaginaires en Amazonie pour rendre crédible auprès des Parisiens son exploration musicale des traditions indiennes. Tout change, évidemment, dans les années 60... Adieu l'Amazonie, bonjour Ipanema ! Les tambours font place à la guitare, Gavroche est désormais Afro-Brésilien (le gamin des rues et les Favelas font leur apparition dans le répertoire) et avec la bossa nova, comme l'écrit Anaïs Fléchet, "le public français découvre pour la première fois un genre brésilien qui n'est pas fait pour la danse mais qui s'écoute comme du jazz"...

Le Brésil ne se rêve plus, il se respire. Pierre Barouh prend  le relais de Sacha Distel, lequel avait lui-même suivi les pas de Jean Sablon. Après l'exotisme et le typique, on ne jure plus que par l'authenticité... Pas si simple, en vérité, ce nouveau mot d'ordre, surtout lorsque le Tropicalisme se met à revendiquer une musique de plus en plus métissée et de plus en plus ouverte au monde extérieur... span>"I Like the Roots, but I prefer the fruits", dira à-ce-propos Caetano Veloso à notre ami de Nova Rémy Kolpa Kopoul... Jolie tirade qui, au-delà même de la référence à Carmen Miranda et  à son turban orné d'ananas, nous renvoie à nos stéréotypes, à toutes ces "brésiliannades" que nous avons dans la tête et à cette part de fantasme toujours vivace qui, tant bien que mal, a permis de renouveler un socle musical Euro-Amérique plus souvent pour le meilleur que pour le pire.

"Si tu vas à Rio... La musique populaire en France au 20e siècle", d'Anaïs Fléchet (Editions Armand Colin). L'auteur est l'invitée des Lundis du Duc, ce 6 mai à 19h, en direct du Duc des Lombards, au côté de Rémy Kolpa Kopoul.