John Zorn Marathon (Jazz à la Villette)
Entamé à l'heure du goûter, le marathon John Zorn nous emmène jusqu'à 1h du mat', ce samedi, dans le cadre du festival "Jazz à la Villette". On n'a plus de jambes, évidemment, vu que le triptyque concocté par le génial New-Yorkais tout fraîchement sexagénaire se conclut dans une salle de la Grande Halle où n'y a pas une seule place assise.
On n'a plus de jambes, mais alors quel pied ! Quel sentiment, surtout, d'être complètement ailleurs, non pas sur une autre planète mais dans une autre galaxie, avec plusieurs planètes plus ou moins reliées entre elles, plus ou moins en rotation sur elles-mêmes également... Neuf d'entre elles vont ainsi se succéder sur trois plateaux différents avec, pour commencer, une prime à l'écriture et à ce qui paraît le plus conceptualisé dans le cosmos zornien. Ainsi en va-t-il de ce trio à la fois free et virtuose emmené par le pianiste Stephen Gosling ou encore de ce quatuor à cordes qui montre l'ancrage de Zorn dans la musique de chambre. Mais ce sont surtout cinq demoiselles chantant à capella qui marquent le plus l'esprit dans cette première partie. On se souvient d'une expérience similaire dans l'album "Mycale" où le télescopage des textures vocales donnait à l'ensemble un côté "Tour de Babel" assez fascinant... On retrouve cette même étrangeté poétique avec le quintette de "The Holy Visions", d'autant plus que les chants sont en latin !
Après le hors-d'oeuvre, le plat de résistance. A 19h, John Zorn quitte la dégaine rigolarde de Monsieur Loyal en treillis et tee-shirt rouge qu'il affichait dans l'après-midi pour nous montrer comment il dirige un orchestre. Il a recours pour cela à son répertoire le plus ensorcelant et le plus mélodique, entre exotisme orientalisant, easy-listening et douceurs ésotériques. Un violon nous emporte, celui de Mark Feldman rejouant les plus beaux titres de l'album "The Concealed". Le vibraphone de Kenny Wollesen est tout aussi envoûtant, surtout dans l'ensemble "The Dreamers" dont les ciselures et les sortilèges constituent à ce jour le sommet de la discographie de John Zorn. Sur scène, en même temps, le tempo résonne en plus accéléré, la fibre easy listening se donne des airs de fusion, la guitare de Marc Ribot s'énerve d'avantage. John Zorn va même jusqu'à diriger sa troupe comme dans "Cobra", l'une de ses expériences les plus barrées.
On comprend alors qu'il est dans une forme olympique et qu'il est d'abord là pour envoyer du bois. Le voici soudain au saxophone, ce saxe qui hulule, hoquette, spasmophilise, sans rien enlever pourtant aux superbes mélodies juives de l'Acoustic Masada, surtout lorsqu'on a à ses côtés un trompettiste aussi légendaire que Dave Douglas... Le dessert est servi à 22 heures et là encore, on va avoir affaire à un John Zorn d'un autre métal... Le métal le plus hurlant en l'occurrence puisque c'est le chant possédé de Mike Patton et la verve la plus hardcore de John Zorn qui entrent en scène. Déjà dans le premier set baptisé "Song Project", le chanteur à la voix caverneuse et rugissante passé maître dans l'art du grunt n'aura fait qu'une bouchée de Jesse Harris et Sofia Rei, les deux autres vocalistes venus lui faire concurrence.
Mais c'est surtout dans la configuration "Moonchild" que Mike Patton livre l'indiscutable climax de ce marathon zornien. Avec à ses côtés Trevor Dunn à la basse, Joey Barron à la batterie et surtout l'orgue ténébreux et gothique de John Medeski, le rocker "zornisé" nous replonge dans l'épopée des Templiers au Moyen-Âge. Ce projet "Templars" est mené de main de maître, dans un mélange de poésie noire et de surpuissance sensorielle qui nous laisse complètement groggy. Lorsque l'Electric Masada vient conclure les festivités, tard dans la nuit, faisant encore monter d'avantage le niveau de décibels, on arrive tout de même, dans ce qui nous reste de vague conscience, à se demander ce que John Zorn nous réservera comme autres folies -et comme autres planètes- pour son 70e anniversaire...
John Zorn Marathon-Zorn, samedi 7 septembre 2013, Jazz à la Villette