Samedi 5 octobre 2013 par Ralph Gambihler

Cinq jours

Son escapade berlinoise nous avait laissé un sentiment mitigé. Avec "Cet Instant là", paru il y a deux ans, Douglas Kennedy louchait gauchement vers le roman d'espionnage couleur sépia. Mi-thriller, mi-romance, son évocation de l'Allemagne d'avant la chute du Mur manquait d'épaisseur et d'émotion. On regrettait amèrement le charme à la Bunuel de "La Femme du Ve" et d'avantage, encore, la densité de "Quitter le monde".

Le nouvel opus du romancier américain le plus "Tsf-isé" au monde (il ne cesse de tweeter sur notre radio dont il prend ENFIN les commandes, toute la journée du lundi 7 octobre...) a valeur, heureusement, de réconciliation. Le titre sonne sec: "Cinq jours". Comme pour mieux aller à l'essentiel dans le portrait de Laura, cette technicienne en radiologie vivant dans l'état du Maine et qui, à la faveur d'une conférence à Boston, va larguer les amarres avec une vie de couple embuée de médiocrité et de renonciation. Le mari est au chômage, crise oblige, et parce qu'il faut bien vivre, il est prêt à prendre un boulot de magasinier dans la boîte où il était cadre. Pas très propice à l'épanouissement conjugal, ce genre de contexte...

Et voilà qu'à Boston Laura tombe sur son double au masculin singulier. On n'ose pas dire "âme soeur" (vu ce que ce terme charrie d'enfumages platoniciens...) et pourtant c'est bien le mec idéal à tout point de vue, ce courtier d'assurances lui aussi mal marié, poète contrarié étouffant dans son univers étriqué, plus tout jeune et en même temps plein d'entrain, de vigueur et de finesse...  Et la finesse, c'est très dangereux pour quelqu'un comme Laura, surtout quand on s'est juré, comme elle, d'être sage et fidèle.

La finesse, en l'occurrence, relève surtout de l'art avec lequel Douglas Kennedy entremêle maturité et confusion dans les états d'âme de ses personnages principaux. Finesse et habileté. Jusqu'à mimer le roman à l'eau de rose pour mieux renverser le verre, à un moment, laissant entrevoir l'état de crise d'une certaine classe moyenne américaine. Finesse et audace, également, à l'instar de ces séquences dialoguées qui prennent tout l'espace nécessaire pour nous faire rentrer de plain-pied dans ce qui vacille, peu à peu, lorsque la tentation du changement heurte de plein fouet nos habitudes, nos encroûtements, nos enkystements.

A-propos d'enkystements, justement... La technicienne en radiologie qu'on retrouve à la fin du roman n'est évidemment plus la même qu'au départ. Passée au scanner de Douglas Kennedy, elle a perdu son vernis craquelé tout en faisant mieux connaissance avec elle-même. La recette du bonheur ? La clé de l'apaisement, plus sûrement.

"Cinq jours", de Douglas Kennedy (Editions Belfond). L'auteur est l'invité des Matins Jazz sur TSFJAZZ, ce lundi 7 octobre, à 8h. On le retrouvera à l'antenne dans plusieurs autres moments de la journée.